1- La ville (depuis quelques temps déjà) considère son assiette hydraulique et son assiette alimentaire hors de ses questionnements spatiaux. Les conditions et les conséquences de l’approvisionnement en eau et en nourriture ne relèveraient pas du « penser la ville ».
2- Dans l’autre sens, la question des rejets (EU, EV et déchets solides) n’est pas considérée comme organiquement urbaine. Les flux sont collectés (dans le meilleur des cas) pour être traités dans des usines implantées « hors les murs » ou (dans le pire) pour être déversés dans le fleuve ou la rivière. Les boues des stations de traitement sont stockées en quelque lieu de pauvreté. A une époque pas si lointaine, ces boues étaient purement et simplement dispersées comme « engrais » dans les champs (notre assiette), métaux lourds et miasmes divers compris.
Ce double impensé entraine un circuit chaotique et dangereux des matières organiques. Les métaux lourds et autres polluants reviennent dans nos assiettes, se faufilent par nos robinets, retombent en pluie, se diffusent dans le moindre courant d’air.
La ville n’a pas perçu qu’elle dépend de la vitalité féconde de ce qu’elle désigne comme « hors la ville » puisqu’en ce moment, sans y prendre garde, sans y penser et même, sans méchanceté, elle l’affaiblit et l’éloigne.
La ville met souvent en avant la qualité des proximités humaines qu’elle permet de dynamiser. Ces proximités physiques liées au « construit serré » amènent à penser que la densité est à l’origine de sa principale qualité écologique. Cependant, cette densité est fondée sur une erreur de calcul : l’impasse faite sur la surface des assiettes hydrauliques et alimentaires, toutes deux indispensables à son existence même.
Si une ville double sa population, les deux assiettes mentionnées feront plus que doubler : le doublement de surface entraine l’augmentation des distances d’approvisionnement. L’emprise des infrastructures occasionnées par l’allongement de l’éloignement s’ajoutera à ce doublement comme s’ajoutera encore la surface territoriale nécessaire aux installations qui fabriquent et font fonctionner, entretiennent, renouvellent, complètent ces infrastructures… Ce cycle est exponentiel et la situation peut de plus se trouver aggravée par une géographie ingrate pour l’eau ou pour l’agriculture.
Les deux assiettes vitales croissent plus vite que ne croit la ville.
Elles sont souvent aujourd’hui déstructurées et peuvent atteindre l’autre bout du monde.
Autrement dit, si nous tenons compte de l’impact de leurs surfaces dans le calcul de densité, plus une ville grandit, moins finalement elle permettra une densité humaine élevée à l’échelle planétaire.
Ajoutons à cela que plus une ville est grande et plus elle contribuera à creuser les écarts de richesse car seule la population la plus riche peut financer sans dommage les conséquences financières de l’éclatement territorial de ses deux assiettes. Il est couteux d’aller chercher des glaçons d’eau douce au pôle Nord ou des haricots verts à Dakar.
Alors : la ville est impossible ?
Non … !
Nous disons simplement :
L’augmentation de la concentration urbaine implique un accroissement de la dépendance (eau, nourriture, déchets, énergie) donc de la fragilité.
Aussi :
- une taille optimale de ville doit certainement exister en rapport aux capacités et à la fécondité d’une géographie donnée (1) : il faut tenter de l’approcher pour la placer parmi les questions basiques de toute problématique urbaine.
- la croissance sans fin des villes est certainement une impasse si l’on souhaite stopper l’augmentation des écarts de richesse.
- à la prise en compte de l’assiette hydraulique et agricole, il faut ajouter l’attention à l’assiette énergétique (2).
- partant des particularités géographiques, nous devons ré ouvrir un questionnement sur l’esprit des lieux pour nourrir l’âme particulière de chaque ville et façonner son visage dans la longue durée (3).
Yves PERRET Architecte, St Etienne (Avril 2013)
(1) : à la pensée de la croissance, nous devons substituer une pensée de la proportion qui met avant la dynamique des rapports entre toutes choses avant le déploiement de chacune d’elles considérées isolément.
(2) : les projets architecturaux à « énergie positive » sont à l’horizon de notre travail, pourquoi ne pas mettre la ville à « énergie positive » ?
(3) : Pourquoi les documents d’urbanisme avec lesquels nous travaillons ne disent jamais un seul mot de « l’imaginaire urbain » dans lequel s’inscrire ou duquel partir ?
Architecte
L’assiette alimentaire des villes aurait une croissance moindre si nous cessions de vouloir ne donner de la valeur qu’à l’argent (spéculation, loyer de l’argent) pour en redonner aux choses vitales ; plus besoin alors d’aller chercher ou faire faire de l’autre côté de la planète ce que nous avons sur place… au nom d’économies « dumpantes » et suicidaires, parce que trop axées sur le court terme. Cessons aussi la mise en œuvre de trop de moyens pour ne réaliser en définitive que de la surproduction… (humaine aussi…?!).
L’assiette hydraulique pourrait bien être la seule qui permettra de faire comprendre aux aficionados du « tout pour la croissance (économique avant tout…) » que le gaspillage qu’ils organisent sur tous les fronts pour leur profit accélérera la démonstration des limites de l’eau sur la planète. Prions pour que le temps, la quatrième dimension, y parvienne assez rapidement et que les élus cessent de se laisser « endormir » par les lobbies de tous bords… pour laisser leur place à moins passifs (veules ou vils) qu’eux sur les domaines essentiels de l’existence… (un peu d’humanité…?!).
La meilleure gestion des déchets commence par en produire moins (cf ci-dessus, 1er paragraphe…) et surtout par une réutilisation (il n’y a pas que le neuf qui fonctionne…) responsable, ou plutôt sensée (certains termes sont à bannir du langage à force d’être galvaudés…), voire intelligente (pour une fois…), jusqu’à la rendre productive… Sachons aussi faire « quelques » concessions sur le plan de notre confort « idiot »… (les exemples ne manquent hélas pas…!).
Architecte - Ville > 50.000 habitants - 97400
Excellente approche !
L’espace en 2 dimensions, celui des géographes est une ressource non renouvelable, fossile en quelque sorte, épuisable. Les derniers textes règlementaires français qui ne visent qu’à limiter la « consommation » d’espace, sont donc encore loin d’une vraie prise de conscience par les pouvoirs publics de cet enjeu mondial.
Architecte - Métropole - 44000
formidable Yves Perret! j’avais eut la chance de suivre ses interventions à Nantes dans le cadre d’une formation complémentaire: architecture et qualité environnementale. J’avais gardé le souvenir d’une intervention magnifique sur le rôle de l’eau dans la ville, de le rappel décapant des limites de nos formations sur le sujet: dépassé le mètre de sortie hors de l’emprise du bâtiment, tout cela n’est plus vraiment de notre domaine… de l’évocation poétique de l’eau de pluie se nébulisant au sol au tombé des hautes gargouilles des cathédrales…
bref si Marseille n’était pas si au Sud, et donc pour moi un peu loin, je pense que je me précipiterais à cette intervention pour en écouter les développements…
Architecte - Ville > 50.000 habitants - 30900
Yves Perret, à voir la ville soumise à autant d’appétits, je sens, tout d’un coup, que je ne suis pas dans mon assiette.
Mais gardons confiance car le jour où notre gros ventre fera de l’ombre en excès à notre jardin, la diète forcée fera fondre le promontoire, et le jardin reverdira … jusqu’à ce que le balancier équilibre la faim et le fruit.
De plus, si l’espace est le lieu d’expression de la puissance, le temps nous contraint à y expérimenter l’impuissance.
Ce que nous avons pris à l’espace, le temps nous le reprendra.
La civilisation est l’expression des lois de l’équilibre. Qui ne respecte pas le temps de la terre, sera contraint de n’y exposé que la beauté perdue de ses ruines. Sous le feu de l’été, sous l’antique Acropole, reine de l’esprit, les restaurants nous invitent à nous gaver, en chevauchant des piles … d’assiettes cassées.
Architecte - Ville < 50.000 habitants
Tout cela est admirable de vérité et si M.PERRET peut trouver la formule qui limite automatiquement la taille d’une ville j’achète les yeux fermés mais pourquoi s’obstinent encore certains élus à vouloir agrandir Paris par exemple si on sait que le seuil d’équilibre est dépassé?