Tisser des réseaux de villes à travers le monde

- par Pascal BOIVIN, architecte. habiter la métropole

L’architecture est l’organisation de l’espace, de manière à y assembler les enveloppes protectrices de l’activité des hommes. Dans cet assemblage, il faut gérer les flux, les vides, et les pleins, la disposition des parois qui séparent les fonctions et les relient. La paroi des édifices exprime l’intelligence de ces relations.

Protégeant les occupants des excès du climat, elle permet l’intimité, et par ses ouvertures offre notre lien au monde, en donnant à voir ou à être vu. La paroi gère les osmoses de chaque entité vivante avec le milieu environnant. La stratification des époques, les régimes successifs ont généré des architectures adaptées, ponctuant le temps, créant des mémoires, donnant du sens à l’histoire.

En plus de ses qualités fonctionnelles permettant à chaque organe de prendre sa place dans le corps social, l’architecture fait sens et révèle la position de ses occupants dans le groupe.
La diversité des expressions au travers de l’histoire et au gré des régions offre à notre curiosité toute une palette de la combinaison des possibles.

Pour ceux qui exercent le métier d’architecte depuis plusieurs décennies, nous avons vu le monde et l’aménagement de l’espace se transformer de telle manière que les villes que nous avons connu dans notre enfance sont une lointaine nostalgie en noir et blanc, tant les quartiers, les rythmes, les préoccupations ont changé depuis lors.

Les professionnels de la ville en sont encore à se poser les bonnes questions pour s’adapter à cette ville proliférante,  qui dévore des terres vierges et s’étiole dans ses quartiers, hier si vivants. Fragiles déséquilibres, erreurs à sans cesse compenser, comme si la pensée courrait derrière les pelleteuses sans jamais les rattraper.

Les recherches prospectives nous annoncent que la population mondiale va encore progresser de 3 milliards et demi d’habitants d’ici 2050 pour passer de 6,5 à 10 milliards. Cela veut dire que dans le monde, il faut d’ici là, faire la place chaque jour pour une ville comme Montpellier, chaque mois une agglomération comme le grand Paris, chaque année la population d’une fois et demi la France.

Sachant que pendant ce temps là il y a à peu près le même nombre d’habitants qui disparaîtra, c’est donc plus de 6 milliards de naissances qui s’annoncent à cet horizon. Donc, dans 35 ans, il y aura presqu’autant d’âmes qui seront entrées en scène depuis cet instant que celles qui sont déjà là aujourd’hui. Leur vision du monde sera donc totalement différente.

Si nous ajoutons à ces prospectives, que presque un milliard d’êtres humains ne mangent pas à leur faim aujourd’hui et qu’un milliard et demi n’accède pas l’eau potable, que plusieurs centaines de millions d’individu vont devenir des émigrés climatiques dont il va falloir faire la place quelque part, que l’énergie fossile se raréfie et que la demande mondiale en ressources augmente, les ingrédients ainsi mixés risquent de donner un goût assez inattendu au cocktail.
La contribution que je souhaite apporter à ces universités d’été est donc double. Quelle part d’immigration sommes nous prêts à accueillir sur notre belle terre de France. Au vu de la pression qui va s’exercer sur les pays « riches », comment anticipons-nous et préparons-nous l’accueil de ces pressions ?

Le Soudan est plus peuplé que le Canada, le Bangladesh que la Russie, le Nigeria que la France, la Grande Bretagne et l’Italie réunies.

Comment notre savoir faire d’européens, possédant une culture de la ville forte de plusieurs millénaires, peut apporter une contribution aux pays des mondes émergents et quels moyens nous donnons nous pour nous former, et offrir nos services pour participer à cet essor ?
L’organisation urbaine à inventer, a un potentiel pouvoir de régulation des tensions humaines, car elle va exprimer dans l’espace, l’expression politique des peuples. La ville révèle le rapport des hommes à leurs édiles, et en retour à la considération qui est faite envers tous les citoyens de la cité. La ville doit gérer la multitude des individus, leurs rapports, l’eau et les fluides, les énergies, les flux et donner de l’identité aux êtres qui la peuple. Elle doit enfin être ancrée dans une terre qui la nourrit.

Les concepts fondateurs de la ville vont devoir autant être reconsidérés dans les 35 prochaines années (d’ici 2050), qu’ils l’ont été depuis un siècle.

Est-ce que nos cerveaux sont prêts à cette nouvelle mutation ?

Il existe  3 catégories d’être humains dans le monde :
* Ceux qui provoquent les choses,
* Ceux les observent,
* Ceux qui se demandent : « Que s’est-il passé ? »

Avec le chaos (le KO) que traverse nos professions, la crise, la mondialisation, nous nous retrouvons pour beaucoup, dans la dernière catégorie, sonnés par la situation.
Observons bien les enjeux pour les comprendre, anticiper les solutions à venir et y prendre notre part. Les situations les plus désespérées offrent toujours des opportunités. Notre intelligence, notre savoir-faire, notre culture ont une valeur indéniable. Il nous appartient de nous positionner sur cette demande mondiale pour offrir une pensée, des méthodes, et une capacité de réponse aux défis. Les architectes, les urbanistes, les paysagistes, les professions de l’environnement doivent se positionner sur le marché mondial car leurs compétences peuvent prendre racines là où la ville se fait. Pas dans un esprit colonisateur, mais dans l’esprit de l’échange entre les grandes cités. La méditerranée, puis l’Europe ont prospéré pendant des millénaires par la capacité d’échanges entre les grandes cités. Ces cités étaient ancrées dans un terroir. Nous avons les Cités, nous avons les terroirs, nous avons un art de vivre qui a encore du crédit aux yeux du monde. Nous avons l’expérience que nos villes se sont perdues lorsqu’elles ont tourné le dos à leurs campagnes. La nécessité écologique et la conscience de notre empreinte retissent petit à petit les mailles qui ont lâché.

Le film accéléré du développement urbain des villes émergentes est aussi riche d’enseignements.
Entre les villes asiatiques portées par un essor fulgurant qui attire les populations, et les villes africaines qui grossissent par la fuite des terres qui ne nourrissent plus, les modèles de développement sont radicalement opposés. Mais les deux modèles d’expansion ploient comme des branches trop lourdes qui ont poussé trop vite, sur une structure qui n’a pas eu le temps de se solidifier. New York, le modèle de la ville champignon, qui est surgit de terre avec la vitalité de l’espoir, offre une lisibilité, une identité. Que l’on adhère au modèle ou non, sa modernité fait référence. La skyline des villes qui veulent prendre leur place sur les marchés économiques et financiers s’en inspire. Jusque là, les villes lointaines n’ont longtemps offert que l’exotisme du choc entre l’architecture coloniale et leur héritage vernaculaire.

Mais, à ce jour, aucune des villes proliférantes n’offrent un nouveau modèle qui impose le respect.
La ville c’est l’échange.
C’est savoir accueillir et intégrer la pression des nouveaux apports.
La ville est un processus dynamique.

Ce qui s’est joué au nouveau des bourgs et leurs terroirs, au niveau des comptoirs coloniaux et les océans, se joue aujourd’hui au niveau des cités et des continents, par réseaux d’affinités.
Il faut développer et trouver notre place dans le tissage de ces réseaux d’affinité à construire avec nos cités et leurs sororités lointaines. Nous devons aller à la rencontre de nos confrères, bâtir des familiarités avec les agences étrangères, dans l’esprit d’un réel échange et de partenariat.

Les pays émergents, si nous savons aller vers eux, vont nous aider par leur vitalité, nous, qui avons épuisés nos modèles de développement. Dans l’échange, nous pourrons peut-être par le miracle de la synergie trouver une place, écouter et être entendu. Non plus avec l’esprit colonisateur et offensif des grands groupes qui chassent les marchés, mais avec le concours des différences et complémentarités, nourrir la curiosité de vouloir grandir et réussir ensemble. Prolétaires architectes de tous les pays, unissez-vous …

Comment, avec quels moyens, quel esprit, sommes-nous prêts à exprimer les nouvelles morphologies du « vivre et partager » cette planète ?
S’il nous reste assez de fierté, de conviction et de confiance en nous, il nous appartient de ne pas laisser toute la place à Mr Google pour dessiner la ville de demain, de tisser les réseaux de villes, et de prendre part à la métamorphose du monde, à la mesure de nos talents.


Pascal BOIVIN, architecte, Conseiller régional de l’Ordre de Languedoc-Roussillon

Post-scriptum : Si dans les 5 ans à venir, les initiatives, autant individuelles qu’ordinales, permettent de tisser des liens avec de multiples agences à travers le monde, petites et moyennes agences au delà de celles déjà aguerries à l’international, alors la candidature de Paris pour le Congrès UIA 2020, prend une toute autre dimension. Au lieu d’être la vitrine des prouesses d’un système économique dont on ne sait où il nous mène, PARIS 2020 pourra aussi être la tribune de l’émergence d’un nouveau paradigme. Celui de nouvelles synergies internationales entre agences, au niveau de l’architecture du quotidien.

Partagez

Commentez

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.