Le territoire est politique

- par Isabelle LORAND, responsable du pôle ville-habitat-égalité des territoires du PCF & Anne FOURNIAU, coordinatrice des Rencontres Niemeyer. habiter la métropole

Pour contribuer à votre débat sur habiter la métropole et les mutations contemporaines de l’habitat nous partons d’un constat, malheureusement connu et reconnu, celui du mal logement qui touche aujourd’hui une part croissante des habitants des villes petites et grandes et particulièrement des grandes métropoles. Quand le bâtiment va tout va, dit l’adage. Or, force est de le constater : le bâtiment et plus largement les projets architecturaux, urbains, l’amélioration des conditions de logement et du cadre de vie, aujourd’hui se portent mal. Le bâtiment, c’est la construction de logements neufs tout particulièrement de logements sociaux mais aussi les réhabilitations du bâti existant, de l’espace public et des rues, les constructions de routes, d’équipements comme les écoles ou les stades. L’asphyxie des collectivités territoriales, dont les marchés publics représentent 60% du chiffre d’affaire du BTP, va mécaniquement aggraver la spirale de la crise.

Paradoxe saisissant, côté pile : les logements manquent. Côté face : les carnets de commandes de ceux qui les construisent sont vides provoquant une épidémie de fermeture de PME. Entraînant dans leur chute des milliers de salariés vers le chômage. Et qui de ce fait rejoignent le cortège de ceux si nombreux qui peinent à payer leur loyer. Le taux d’effort pour payer le loyer est si lourd qu’il s’apparente aux sacrifices. Chaque année, 100 000 français quittent les centres-ville, chassés par le coût de l’immobilier pour habiter à la périphérie des villes. Là, ni transports en commun, ni théâtre, ni piscine, ni commerces. Un temps de déplacement considérable. L’essence, si chère, qu’il faut choisir entre la voiture et le chauffage de la maison. Ainsi, la ville à la mode libérale exclut ceux-là même qui la font. Et que dire, à un an de la conférence mondiale sur le climat, de la quasi absence de financement permettant de réhabiliter le bâti existant, exigence pourtant incontournable pour réduire drastiquement l’effet de serre en zone urbaine. Cela pourtant, n’est pas une fatalité. C’est l’aboutissement d’une logique et d’un raisonnement. C’est la conséquence d’un choix fondamental, celui de la finance au détriment de l’humain et de la qualité de vie, celui des actionnaires au détriment des intérêts économiques et sociaux de la France et des intérêts écologiques de notre planète.

Triste constat contrastant avec le potentiel de partage de la ville qui est le lieu du vivre ensemble. Culture, transport, école, santé, énergie, voirie… la mise en commun offre quantité d’opportunités et de services pour travailler, apprendre, se soigner, consommer, habiter, faire la fête… Oui, vos débats l’expriment, la ville est le moteur du développement économique, social et humain. «Elle se doit d’être agréable, saine et belle, à l’instar des espoirs de ceux qui y vivent ». Pourtant, près de cinquante ans après le texte d’Henri Lefebvre, le Droit à la ville reste une utopie. Le verdict est sans appel : la ville est au cœur de la fabrique des inégalités et de la normalisation mondiale au service de la finance. De nombreuses œuvres, des films comme des romans d’anticipation, pointent la ville comme pièce maitresse susceptible de faire basculer le monde vers le chaos. Ou, au contraire, comme levier majeur d’émancipation. D’autant plus fortement que l’humanité vit une rupture anthropologique : elle est aujourd’hui plus urbaine que rurale.

Le territoire – nation, région, département, agglomération, commune – est traditionnellement identifié par son histoire, sa culture, la conscience d’une destinée commune. La fabrique néolibérale le réduit à un relais voué à répondre au cahier des charges économique et financier du marché de la connaissance. Les pôles de compétitivité, les clusters ou autres technopôles en sont la caricature. L’éclatement des services publics, l’attaque contre les collectivités territoriales et l’adaptation du droit du travail sont les autres piliers de la mise en conformité avec la stratégie de Lisbonne et Europe 2020. Même le patrimoine immatériel, du patrimoine culturel aux fêtes régionales, est devenu vitrine pour vendre le territoire. Le paradigme de l’aménagement du territoire était hier de tendre vers l’égalité et de favoriser le développement économique. L’inégalité et l’exclusion sont maintenant les corollaires du couple compétitivité-attractivité.

Partout jaillissent des territoires subventionnés conçus sur la spécialisation et la compétitivité. Ainsi, dans les métropoles, des pôles ultra-riches côtoient des territoires littéralement abandonnés. Entre les métropoles, c’est la fuite en avant du toujours plus fort, quitte à développer des infrastructures inopportunes aux coûts exorbitants et qui renforcent les déséquilibres. Dans cette course effrénée, les petites villes et la ruralité font figure de dégâts collatéraux. Elles entraînent dans leur chute des savoir-faire, de l’artisanat, des sites industriels. Le maillage ferroviaire est particulièrement emblématique de cette exclusion territoriale. Le tout TGV et l’abandon des petites lignes jugées non rentables, conduit à reconfigurer le maillage par la connexion entre grandes villes.

Dans ce contexte, voilà les collectivités territoriales sommées de permettre aux territoires d’être performants et attractifs pour les firmes. Piliers du vivre ensemble, les maires répugnent à muter en VRP. Alors le pouvoir a la solution « puisque les institutions résistent à s’adapter aux exigences du marché, alors il faut changer les institutions » pour paraphraser Bertold Brecht. Ni décentralisation, ni même recentralisation puisque la loi affaiblit la responsabilité de l’État, la réforme des institutions, malgré les quelques ajustements en cours, est la transposition de la gestion entrepreneuriale aux territoires. Cette réforme bouleverse les fondements de notre république. Elle mérite un débat public majeur qui devra aboutir à un référendum. A défaut, il ne serait pas excessif de qualifier les options gouvernementales de coup d’état institutionnel.

Plus que jamais, le devenir du territoire est au cœur des enjeux stratégiques. Autant dire que construire appelle des choix politiques. Malheureusement trop souvent la maîtrise d’ouvrage se dédouane derrière les experts, s’exonérant ainsi de mettre, sur la scène publique, les choix qu’elle opère, et du même coup de la responsabilité des effets produits. Au contraire, la puissance publique, appuyée sur le débat démocratique devrait – au-delà des PLU/PLH – définir les enjeux des territoires autant que les attendus des programmes de constructions et de rénovations, allant même jusqu’à préciser les attentes de bâtiments et de logements adaptés aux nouveaux modes de vie. Complexe, la ville est une question d’équilibre qui se cherche, et qui, pour se faire, a besoin de la confrontation-coopération entre tous les acteurs : élu-e-s, professionnels, forces sociales, et citoyens. Face à la dérive technocratique, les professionnels endossent finalement l’organisation du débat politique. Allant jusqu’à animer les réunions avec les habitants. Il faut contrecarrer cette pente dommageable.

Le Parti communiste pour sa part relève le défi. Les Rencontres Niemeyer, rendez-vous annuel, propose aux professionnels, chercheurs, élus, cadres territoriaux, citoyens de mettre leur énergie créative pour inventer un projet pour la ville et l’égalité des territoires. Rompre avec la soumission aux oukases de la compétitivité et de l’attractivité pour ouvrir le paradigme d’immeubles, de quartiers, de rues, de villages, de villes et de métropoles où il fait bon vivre. De la ville accueillante, du droit à la ville pour les urbains comme pour les ruraux, de la coopération.

Pour cela la contribution de tous les experts mais aussi la pensée plurielle et diverse est indispensable. Fort de cette conviction, vous comprendrez combien nous sommes intéressés par cette initiative de l’ordre des architectes, visant à s’installer dans ce débat, à produire des idées et des propositions. Nous sommes heureux de nous y confronter.

Isabelle LORAND, responsable du pôle ville-habitat-égalité des territoires du PCF
Anne FOURNIAU, coordinatrice des Rencontres Niemeyer

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2 commentaires au sujet de « Le territoire est politique »

  1. Pozzo Thierry

    Expert(e) - Métropole
    Bonjour,

    Je suis globalement ok avec ce texte même si je trouve que le rejet de la notion dattractivité des territoires ne doit pas faire l’objet de raccourci.
    La lutte pour l’attractivité d’un territoire a fortiori métropolitain me parait indispensable dans l’économie globalisée et dérégulée.
    Je pense qu’il faut définir ce qu’est l’attractivité et développer quel territoire nous voulons, au-delà de l’énoncé des principes d’égalité, de respect, d’équilibre…
    Qu’est-ce qui est attractif ? Comment le construire ?
    Amicalement.
    En outre, je perçois un décalage certain entre ce discours général et les pratiques de nos municipalités.

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  2. BORTOLI Elodie

    Maitre d'ouvrage - Ville > 50.000 habitants - 94200
    En accord avec ce texte qui nous permet de mettre la Ville au coeur du débat politique.
    Je continuerai à titre personnel et professionnel à participer à ces riches échanges.
    Une remarque: dans les champs d’activité il n’y a ni les metiers d’urbanistes ni de paysagistes ni de sociologues. …attention il n’y a pas que les architectes qui « font » la ville.

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