Soyons architectes-citoyens !

- par Marine DE LA GUERRANDE & Christine LECONTE - Vice-présidente et Secrétaire du Conseil Régional de l’Ordre des Architectes d'IDF. habitat : mutations et innovations ?, habiter la métropole

Nous, les architectes, sommes avant tout habitants et citoyens.  Nous avons notre propre expérience de la vie en société, qui nous façonne et impacte notre pratique. Nous appuyons notre expérience sur notre formation initiale, à travers la sociologie, la psychologie, l’histoire, les sciences humaines, et notre vie citoyenne pour comprendre la société. Nous ne constituons pas une élite. Nous sommes nous-mêmes acteurs des changements de la société. Nous, les architectes, avons le devoir d’être architectes-citoyens.

La société d’aujourd’hui ne nous attend pas pour évoluer. Les villes ne nous attendent pas pour se développer. Nous sommes moins écoutés qu’avant et, nous portons le poids des actions de nos aînés, à tort ou à raison. Il est de notre devoir d’en comprendre les raisons et de prendre conscience que nous devons nous adapter. Le star-système de l’architecture ne nous aide pas : il renvoie au monde l’image de protagonistes à l’égo démesuré. A contrario de ceux qui veulent « ré-enchanter le monde »… Au quotidien, nous devons supporter cette notoriété envahissante, bien loin de la réalité de notre métier.

Nous nous voyons reprocher beaucoup de choses : notre manque de compétence, notre coût jugé trop élevé, notre manque de sérieux. Et par dessus tout, d’être éloigné des désirs de nos concitoyens …

 

Faire face aux idées reçues : il en va de notre survie

« L’architecte n’est pas assez proche des gens. »

Depuis l’Ecole, nous avons appris à nous cacher derrière « LE » projet. Ce modèle a atteint ses limites. Le projet n’est finalement qu’un outil pour répondre à une commande. En ne parlant QUE du projet, nous devenons invisibles, inaudibles, jargonneux. Personne ne nous comprend! Brandir l’esthétique, le parti architectural, ou le développement durable, ne fait rêver que nous !

Nous avons le devoir d’aller à la rencontre de nos concitoyens. C’est notre rôle social, en tant que garants de l’intérêt général. De parler à la société. De défendre la qualité des espaces. D’être conscients des enjeux politiques ou économiques. De penser les usages avant la forme.

Pour être entendus et pris au sérieux, nous devons être AU SERVICE du public. Et notre production doit être ancrée dans le quotidien de ceux qui vont utiliser les bâtiments, les espaces publics pour y vivre, bien de préférence.

« L’architecte ne sert à rien. »

Encore dernièrement, nous lisions « Tout le monde se plaint de la non-reconnaissance de la profession. Oubliés, humiliés, maltraités, les architectes se plaignent tout le temps » *Nous ne nous reconnaissons pas dans cette image négative. Et puis personne ne veut travailler avec des grincheux.

La seule manière de redonner envie aux gens de nous faire confiance est la proximité.

Etre architecte, de nos jours c’est avoir une envie d’humanisme, c’est pratiquer un métier engagé, indissociable d’un désir d’une vie en société et porteur des valeurs d’intérêt collectif et général.

Nous sommes au centre du processus de conception : nous restons incontournables par notre transversalité. Indépendants sur le plan intellectuel, technique ou économique. Nous ne sommes inféodés à personne, ce qui devrait garantir qualité et économie des projets. Au conditionnel, parce que les dérapages existent. Et nous en payons tous les conséquences. Citoyens comme architectes.

« L’architecte, est un artiste qui travaille par passion »

Nous sommes passionnés, c’est vrai, mais architecte est un métier plein et entier. Et comme beaucoup d’autres, notre métier ne s’arrête pas une fois franchi le seuil de l’agence !

Nous avons un rôle social primordial. Parce que nous concevons le cadre de vie de tous et de chacun, comment prétendre exercer sans nous soucier des habitants, de leurs modes de vie, de leurs déplacements, de leurs loisirs, de leurs emplois? Les media vendent le rêve d’un métier facile, à l’image déformée, loin des contingences techniques et réglementaires. Mais notre pratique est diverse et complexe. Formés aux derniers outils informatiques, en permanente veille juridique pour guetter l’évolution des procédures, des lois, des normes. Les techniques de construction, de conception, de montages opérationnels et de commercialisation changent, de nouveaux matériaux apparaissent. Et nous devons suivre… Parce qu’in fine, nous sommes responsables : pendant 2 ans, 10 ans ou une vie entière !

La responsabilité professionnelle (technique et contractuelle) et humaine (éthique, morale, sociale) doit être guidée au quotidien par notre responsabilité citoyenne. Pour remettre l’homme au centre de nos réflexions. Pour offrir de la qualité de vie à nos concitoyens.

« L’architecte n’est pas à l’écoute! »

La plus grande qualité d’un architecte nous dit-on souvent, c’est la créativité. Pour nous, c’est la générosité. La générosité dans le partage de la conception, de l’analyse à la réalisation. Exposer nos idées ne nous en dépossède pas. Infléchir une position après avoir écouté les autres acteurs du projet ne fait pas de nous des faibles.

Un maître d’ouvrage écoute si auparavant, ce temps lui a été donné.

Les partenaires écoutent si l’on fait appel à leurs compétences en s’y intéressant, intégrant leurs contraintes, expliquant les limites ou les interfaces.

Les usagers écoutent quand on prend le temps de les laisser parler, de leur donner de l’espace.

Les entreprises écoutent l’architecte conscient de données économiques ou techniques, qui fait vivre l’histoire d’un projet.

Les confrères écoutent ceux qui partagent leurs doutes et leurs errances, leurs adresses et leurs trouvailles, leurs bonheurs et leurs réussites aussi.

Moins solitaires, plus solidaires, en un seul mot, ENSEMBLE.

Parce que nous n’avons pas le choix : l’architecture est l’affaire de tous !

L’architecture n’est pas un produit : l’intérêt général doit primer!

L’architecture commence là où il y a de la vie. C’est l’espace où les choses se passent.

Où que ce soit, la réponse est multiple. Et une architecture simple, abordable et partagée par tous est la seule architecture acceptée. L’habitant aspire à être bien dans un lieu, en rapport avec un site.

Mais un monde sans architecture?

C’est un lieu sans échanges, loin de la vie.

Une vie sans architecture, c’est une vie où il n’existe plus de lieux pour cohabiter ni se parler. Une vie où les gens ne veulent plus vivre ensemble. Une ville que nous n’imaginons pas transmettre à nos enfants.

Arrêtons de déconnecter l’architecture de la société. L’architecture ne peut plus être considérée comme un produit. Le territoire non plus ! L’habitat n’est pas un bien de consommation mais un besoin humain.

Notre enjeu commun, reconstruire sur et avec l’existant, doit se faire en collaboration. Notre territoire doit faire face à de nombreux enjeux et se développer de façon équilibrée. Et cet équilibre doit venir de l’acceptation de l’existant dont nous héritons et qui porte les valeurs d’une partie des habitants. Quartiers denses, friches, habitats pavillonnaires…Cette contrainte est notre richesse. Et nous sommes tous acteurs : l’élu, l’habitant, l’architecte, et tous les protagonistes de l’acte de bâtir. La société civile est porteuse de projets. Elle est porteuse d’un patrimoine, de richesses humaines, d’envies. L’architecture n’est pas l’affaire des seuls architectes, même s’il y a des sujets sur lesquels nous sommes parmi les seuls à nous engager.

Pour faire avancer les questions de société.

Pour produire 500 000 logements, nous devons parler de densité, l’expliquer et comprendre les obstacles.
Nous devons parler d’intensité urbaine, de ce qui se passe en dehors des logements.

Nous devons aborder la question de la forme des habitats, qui deviendront des foyers, et non des cellules ou des produits.
Nous devons nous poser la question de leur coût de production et des moyens techniques, des leviers politiques, des procédures.

Nous devons interpeller les élus sur leurs responsabilités propres : s’ils doivent être précautionneux dans la dépense de l’argent public, arrêter des chantiers en cours pour raisons idéologiques, imposer des normes à tout-va ou retenir systématiquement l’offre la plus basse, l’argent des citoyens n’est pas bien dépensé.

Ce qui doit tous nous guider, c’est l’intérêt général. Cela demande un peu de courage. Un peu de voix pour être audible. Et si besoin, cher Michel Serres **, oui, foutons-nous à poil !

 

Marine DE LA GUERRANDE – Vice présidente
Christine LECONTE – Secrétaire
Elues au Conseil Régional de l’Ordre des Architectes d’Ile-de-France

Notes
* Où est la révolution numérique ? par Jérôme-Olivier Delb, créateur du blog L’Abeille et l’Architecte. 29/09/2014 – Universités de l’Architecture

 **Michel Serres en conférence le 12/09/2014 à Bordeaux – Cf. Article de La Tribune « Architectes, foutez-vous à poil ! »

 

 

 

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Un commentaire au sujet de « Soyons architectes-citoyens ! »

  1. Ricchiero

    Architecte - Métropole - 10120
    Nous ne pouvons pas parler d’Architecture sans son territoire et ceux qui le vivent.Notre action est à l’origine de cette démarche. Dans la continuité de son histoire ,de sa culture,de son économie,nous devons nous engager dans son organisation,prenant en compte toutes les compétences pour créer une action solidaire ,constructive sur l’ensemble d son territoire et de son environnement a partir de la base.

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