A chaque fois que nous abordons un site avec l’intention d’y implanter une construction, doit se poser la question de la politesse. La politesse, ce n’est pas que des formules convenues, mais c’est se montrer civilisé, entrer en relation. Le faire selon des lois tracées comme les routes que doivent emprunter deux êtres aux qualités foncièrement différentes pour se rencontrer.
Cet « aller l’un vers l’autre », que chacun de nous porte à l’intérieur de lui avec plus ou moins de facilités, selon son caractère, sa culture, son ouverture, s’applique aux lieux comme aux hommes. Aborder un lieu, comme une personne.
Observez une ville, un territoire, et vous comprendrez comment les hommes qui la courtisent entretiennent des rapports avec celle qui les porte, les nourrit, les entoure de ses exigences ou les invite à la liberté.
Qu’ils soient rudes ou élégants, les rapports de l’homme à la ville sont en beaucoup de points semblables à la relation qu’il a vis à vis de son propre féminin.
L’implantation primordiale, répétée de façon archétypale, à l’occasion de chaque chantier, se joue et rejoue dans la partition initiale ou en rupture avec celle-ci, pour affirmer que les temps ont changé.
Mais, les invariants sont toujours les mêmes.
Si je m’y arrête, c’est que le lieu me parle.
Il est des endroits que l’on croise sans les regarder,
d’autres qui suscitent un détour du regard,
certains où l’on s’arrête un moment, et qu’enfin, on se dise : « c’est là ».
Sensation d’ancrage, évocation, saveur de l’air, couleur d’un ciel, paysages intérieurs, présences ou absences, évocation d’une enfance perdue ou oubliée, une implantation immobilière n’est pas faites que de fonctions, de surfaces et de retours sur investissement.
Elle est là, cette terre qui nous parle. Si le courant passe, c’est qu’il y a du courant. Peu d’entre nous ont conscience de leur capacité à sentir le tellurisme, de percevoir le magnétisme qui nous attire et nous fixe au delà des perceptions sensorielles connues. Ces phéromones du lieu nous pénètrent dans nos structures les plus archaïques pour établir cette relation qui ouvre un espace-temps définitif.
Alors, si nous regardons la ville comme expression de toutes les structures humaines, telle une mosaïque d’histoires d’amour du lieu juxtaposées, qui compose un bal, un ballet urbain, ou chacun affirme sa couleur dans le mouvement global, s’y insère, s’y retire, s’y cache, ou s’exhibe.
Avant de la pénétrer, contemplez la ville et regardez là danser. Le premier entré en scène y a planté son axe, comme dans Cent ans de solitude (Cien años de Soledad de Gabriel García Márquez), lorsque la communauté s’installe au bord de l’eau, rejouant en cela tous les campements du monde.
Le pionnier arrivé, les suivants se positionnent autour de lui, compose le premier mouvement du ballet, et le tourbillon du temps amplifie les vagues en un ressac sans cesse renouvelé.
Les structures viaires canalisent les mouvements, composent avec les courants telluriques du lieu, s’accrochent à la topographie, et se confrontent aux obstacles du site. Le visage de la ville se dessine, dans sa féminité profonde. Villa américaine, ville iranienne, ville africaine, ville italienne, la ville nous saisit, et ne nous lâche plus. Certains s’en échappe en criant OUF ! D’autres ne peuvent pas la quitter sans une certaine dépression. Mère, épouse ou amante universelle, la ville tient ses sujets. Fiers de lui appartenir, ils ne lui font pas de cadeau pour autant. Elle le leur rend bien, elle les prend ou les jette comme de amants éconduits. La ville a ses règles et exige qu’on lui fasse allégeance. Relisez tous les précis de relation amoureuse et transposez l’idylle en reprenant mots et situations pour traduire la relation entre le sujet et sa ville. Vous serez édifiez comment cela marche. Combien d’auteurs s’y sont risqué, Lawrence Durrell avec Le quatuor d’Alexandrie, le voyage d’Italie de Dominique Fernandez, ou Italo Calvino avec ses villes invisibles, …
Les règlements d’urbanisme ne devraient être confiés qu’à des grands auteurs, amoureux de leur ville ou par des étrangers accueillis en résidence pour requalifier la ville sous le regard de l’autre. A force d’être étouffée sous des robes de bitumes et scarifiée de bijoux de béton, la terre hurle. Elle revendique le droit, à nouveau, d’être courtisée, aimée, apprivoisée, pour qu’enfin, elle se redonne en confiance.
Elle demande de la poésie, et il lui est répondu :
CHAPITRE I – ZONE U
Caractère de la zone :
Elle comprend les secteurs :
Ua – Centre ancien, la réglementation vise à favoriser le maintien de son caractère
Ub – Urbanisation périphérique
Uc– Parc d’activités multiples …
SECTION 1 – NATURE ET OCCUPATION DES SOLS :
Sont interdits …
Malgré cela, quand nous découvrons une ville à travers l’œil d’un artiste, comme par exemple dans les cadrages, plans fixes ou travelling de Wim Wenders, notre regard est ré-enchanté.
Enseignants, donnez à raconter la ville par écrit à vos étudiants, donnez leur les extraits de descriptions d’auteurs, mélangez les cartes et les sujets, et faites leur dessiner des villes dont la structure est portée par le Verbe. Qu’ils apprennent, réapprennent à écrire l’histoire avant de la dessiner.
Maires, invitez en résidence des auteurs, des artistes qui vous renverront une image de votre ville qui vous surprendra et vous apprendra à mieux la regarder. Qui a chanté le Grand Paris, avant de le jeter en pâture aux planificateurs ?
Amis architectes, parlez aux lieux, aimez les, laissez vous chuchoter à l’oreille leurs confidences. Dîtes à vos clients que la terre n’en peut plus d’être foulée, exploitée, marchandisée, qu’elle aspire à entendre de belles histoires et le rire des enfants.
Elle attend que chacune de vos œuvres lui soit offerte comme un présent au Présent.
Pascal BOIVIN, architecte, Nimes
L’émotionnel n’encombre pas les règlements d’urbanisme.
Il forme parfois le cadre écolo qui fait passer l’amertume de la règle et les rats gondins deviennent mondains.
Les gens bien élevés, notamment les architectes, peuvent encore rêver à la terrasse des cafés, mais n’oublions pas ceux qui vivent dans la couronne de VILLETANEUSE où les rendez-vous de chantier se font le matin pendant que les chômeurs dorment afin d’éviter les confrontations. Dans les ghettos de pauvre, les murs ne parlent plus, les populations sont anesthésiées par la drogue, la vie c’est la nuit quand on va casser les bungalows de chantier et qu’on apprend à courir vite quand le maître chien lâche son fauve.
Architecte - Ville > 50.000 habitants - 33200
Hélas, politesse, courtoisie, et tous les gestes poétiques, artistique, sensibles, qui pourrait si bien s’accommoder avec le sens du respect, se perdent lamentablement, presque inéluctablement, dans une société en course solitaire et effrénée du faire vite, moins cher, plus grand. Les raisons en sont multiples, mais les mots (maux), loin d’êtres les préférés des grands poètes, sont du coté des financiers, trop souvent et malheureusement : « profits », « bénéfices », « rentabilité ». Que peut-on réaliser de beau si le but de créer n’est plus lier au vivre bien, ensemble, avec force et beauté …
Pour renouer avec la terre, et pouvoir dialoguer avec elle, réapprendre à connaitre un lieux, un site, une parcelle, il faut avoir le temps d’écouter son langage, et ce temps n’est pas au même rythme que celui de nos société, qui vivent vite, trop vite, et n’ont plus le temps (l’argent) d’écouter les saisons, et de regarder comment l’espace se meut, et l’homme avec …
Tous ceux qui ont la connaissance des lieux, de nos village et des villes, femmes et hommes d’ages et de sagesse, sont de plus en plus en marge de la société, cachés dans de très confortables « maisons » de retraite … où personne ne va plus demander conseil … car c’est bien là les seuls personnes ayant suffisamment vécu, pour avoir écouté assez longtemps les murmures de la terre, et qui pourrait nous conter les plus belle histoire de terroirs .
Dans mon village d’enfance il a encore de ces personnes, qui à l’ombre des platanes, dans la brise du soir, raconte leur mémoire… et pourrait bien nous dire, pour le meilleur et le pire, les erreurs à ne plus faire, et ce qui est à faire ….
Prendre le temps de bien faire n’est plus de notre temps, car l’important n’est plus de faire mais bien ce qui est fait, fini, vendu, encaissé et « au suivant » … et car tout doit être fait pour hier !