Après son rapport du 2 juillet 2014, l’exposé du député Patrick Bloche découvrant l’architecture et les architectes, lors des Universités d’été de l’architecture organisées par l’Ordre des architectes, à Marseille, est révélateur de l’état de la société française au regard de l’architecture. Un grand flou, un manque de politique de l’architecture, une trop faible vision sur le devenir de l’architecture : Bien évidemment, Patrick Bloche n’est pas en cause et on ne peut que saluer le travail de la commission parlementaire qu’il a présidée.
Cependant on peut s’interroger sur la méthode qui a été retenue pour entendre les architectes s’épancher sur le cœur de leurs pratiques, sujet du rapport d’information : la création architecturale et sur les questions qu’il reste à poser pour tenter de sortir de l’apathie ambiante.
1) Pourquoi n’avoir interrogé essentiellement que les grands noms, les ténors, les grandes agences ?
2) Quelle place, quel regard et quelles pratiques concernant les jeunes agences ?
3) La création architecturale est-elle le « monopole » des architectes ?
4) Pourquoi n’avoir pas étendu le champ de l’information à la création paysagère et à la création urbaine ?
5) Pourquoi les quelques visites sur place ont-elles été concentrées sur de grandes
opérations ?
On peut s’interroger sur le plan très bien structuré de ce rapport :
Première partie : créer un désir d’architecture
Deuxième partie : libérer la création architecturale
Troisième partie : répondre aux défis de demain
Il a le mérite de la simplicité, mais cette volonté formelle de transformation, qui s’affirme sur un constat d’évidence, permet-elle de poser les bonnes questions aux bonnes personnes ?
6) Pour l’habitant du logement social, la création architecturale a-t-elle le même sens que pour la direction de la société HLM ?
7) Pour les sans logés, la question du logement n’est-elle pas prioritaire et la mobilisation des architectes au service des mal logés ou des sans logés ne peut-elle être davantage encouragée ?
8) Pour tous les concepteurs, la question n’est-elle pas celle de la commande? Comment survivre ? Quelles solutions concrètes ?
9) Et au-delà du faux débat, commande politique / commande privée, la question n’est-elle pas la création et l’entretien d’espaces publics ?
On pourrait point par point répondre aux propositions du rapport souvent pertinentes mais…
10) Pourquoi ne pas voir au moins un peu hiérarchisé les propositions qui sont hétéroclites, d’ordre réglementaire, d’ordre contractuel, voire d’ordre émotionnel ?
11) Quels sont les questions les plus urgentes à régler ?
12) Pourquoi l’enseignement et la formation sont-elles, depuis plus de trente ans, autant maltraitées ?
13) Le changement de processus de la commande architecturale et d’un changement de paradigme est-il aussi mal compris pour les acteurs et les politiques ?
14) Quelle place aux créations architecturales « éco » ignorées ou portées aux nues le temps d’un show télévisuel ?
15) Pourquoi l’enseignement du droit de l’architecture et de l’urbain a-t-il été éradiqué des écoles d’architecture française et fondu dans une maîtrise d’œuvre qui raisonne sur le modèle libéral du 19ème siècle ?
16) Les parlementaires, les architectes, urbanistes paysagistes, et autres créateurs ont-ils conscience que toute atteinte aux règles d’urbanisme peut se traduire par des mois de prison ? Et on ne l’enseigne pas ?
17) Peut-on réfléchir, cinq minutes, sur la manière dont l’architecture et l’urbain sont saisis par le droit d’auteur ? Sujet permanent qui se traite par l’écoute et la conscience du problème par les élus locaux, les services techniques, les architectes, urbanistes, paysagistes et les habitants ?
18) Pourrait-on réfléchir au sens des mots souvent porteurs de la représentation des pratiques ? (ex : l’architecte, chef d’orchestre)
19) Quel avenir pour le rapport Bloche ?
Si c’est « l’architecte doit rester le chef d’orchestre tout en étant de moins en moins un créateur isolé, d’où l’importance de structurer la profession » ! Le train de la réforme, s’il arrive à démarrer, prend directement la direction d’un passé en contradiction avec la troisième partie du rapport qui veut être un « plaidoyer », en 36 propositions pour une création architecturale du quotidien avec un terrain d’aménagement durable de territoire .
Trente-six chandelles pour faire avancer le train, c’est sympathique, mais certaines sont déjà totalement éteintes et quelques rapports que nous ne citerons pas, car ils sont affligeants, en voulant défendre la profession d’architecte, mettent les architectes sous l’éteignoir d’une économie et d’un droit qui ne sont pas ce qu’ils imaginent.
L’architecture est présente partout, mais elle est loin d’être au service de tous les citoyens qui veulent un logement dont l’aménagement soit à la mesure de leurs besoins et de leurs désirs. Il faudrait pouvoir construire, mais il serait temps que les architectes et leurs partenaires cessent leurs querelles, que tous les acteurs travaillent main dans la main, que les technocrates ne parlent pas au nom des habitants. Qu’enfin une grande politique de la construction, de l’aménagement du territoire ne confine pas l’architecture dans un ministère exsangue de moyens et de pouvoir.
On ne peut réduire la question de la création architecturale en France à 36 propositions, ni même à 20 questions. Il faut du lien et aussi des moyens mais l’architecture ne coûte rien au regard, de ce qu’elle rapporte en terme économique, social et culturel.
L’avenir du rapport Bloche n’est plus une question, mais une rengaine, n’ayant manifestement pas atteint les élus qui, comme tous les Français, sont en manque crucial de conscience et de formation architecturale.
20) Faut-il réquisitionner nos tanks perdus dans les terres africaines pour qu’ils viennent le week-end aider les élus du peuple à visiter les architectures de leur propre territoire ?
L’architecte doit parler à l’oreille des élus et les accompagner partout.
Avec un peu d’humour, beaucoup de passion et un peu d’argent pour libérer la création architecturale au service de tous, la relance de l’espérance est possible.
Quand j’ouvre mon « droit de l’architecture » qui est né il y a plus de trente ans, je frémis à cette « profession de foi » qui semble révéler que depuis rien n’a changé ! Je le livre à nouveau en étant toujours convaincu de la qualité et des potentialités d’aujourd’hui et en restant à la disposition des commissions, acteurs et décideurs pour transformer le monde de l’architecture au service de la Révolution de l’architecture du monde.
Gens d’architecture, qui aujourd’hui souffrez de la pénurie des commandes, de l’insuffisance du travail des conditions difficiles et du manque de transparence, il faut résister face aux spéculations financières, à l’horreur économique et aux contraintes administratives. Il faut rester debout et puiser dans la boîte du droit l’outil nécessaire à l’élaboration de vos projets d’architecture ou de tout acte d’architecture indispensable à la vie de tout citoyen.
Gens d’architecture, vous êtes irremplaçables pour la protection de la mémoire des villes, pour la réhabilitation des lieux, pour l’émergence ou la réutilisation des bâtiments ; mais vous êtes surtout uniques pour imaginer des espaces dans lesquels nous avons plaisir à vivre.
Gens d’architecture, j’ai inventé le droit de l’architecture pour vous, pour les citoyens, pour les élus, pour les maîtres d’ouvrage, pour les entrepreneurs, pour que l’architecture soit reconnue non seulement d’intérêt public, discours creux au cœur d’une loi qu’il faut réformer, mais encore parce qu’après plus trente ans de réforme de l’enseignement de l’architecture et de réflexions sur l’état des lieux, l’action est nécessaire, action démocratique mais vive de vos élus, de vos représentants, de nos politiques, mais action aussi au sein de vos associations et de vos institutions.
Gens d’architecture, depuis trente ans, je suis à l’écoute de votre identité blessée mais vos ressources sont grandes.
Gens d’architecture, le droit de l’architecture, par ses pratiques, révèle l’existence de votre discipline à travers la conception-création, l’histoire, la production.
Gens d’architecture, ne croyez pas que le droit vous est hostile : il est un miroir de vos pratiques dont j’essaie de vous donner quelques clés, mais il est surtout et avant tout un outil à votre service.
Gens d’architecture, découvrez dans cette troisième édition le long cheminement de l’enseignement de l’architecture, l’essence de tout ce qui fonde même votre discipline : l’esthétique qu’il vous faut revendiquer enfin, l’éthique qu’il vous appartient de ne pas laisser à d’autres et la pratique, fondée sur un faisceau de compétences répondant aux besoins de demandes multiples.
Gens d’architecture, maîtrisez les cadres diversifiés dans lesquels vous exercez et surtout les pratiques contractuelles, l’organisation des concours et leurs effets pervers.
Gens d’architecture, je vous nomme ainsi parce que je m’adresse aux architectes bien sûr, mais aussi, d’une manière plus large, aux urbanistes, paysagistes, ingénieurs, économistes, sociologues, juristes, cinéastes, photographes, écrivains, philosophes, qui vivent ou pratiquent l’architecture du quotidien, du côté de l’aménagement, de la maîtrise d’ouvrage, de la maîtrise d’œuvre ou en tant qu’élus.
Gens d’architecture, ne laissez pas l’architecture réduite à quelques plans de permis de construire.
Vous m’avez tous appris que l’architecture c’était bien autre chose. Alors en retour, je vous suggère de vous servir de ce concept d’acte architectural qui englobera du côté de la maîtrise d’ouvrage, comme de la maîtrise d’œuvre, tout élément d’action (comme on dit « action » au cinéma) permettant d’intervenir non pas seulement sous la forme d’un projet ou au sein de la maîtrise d’œuvre, mais, à un moment donné de processus de production sur l’espace à aménager.
Gens d’architecture, le droit de l’architecture vous appartient parce que vous êtes non pas des gens de l’Avoir mais des gens de l’Être.
Michel Huet, Docteur en Droit – Avocat à la Cour