Conversation pour les Universités d’été de l’architecture au sein d’une agence d’architecture danoise et internationale. Avec Michelle Zucker (paysagiste californienne), Sue Duong (étudiante urbaniste française), Jeanette et Rasmus Frisk (architectes danois).
SD : Comment définiriez-vous le logement ?
RF : Le logement n’est pas seulement une question de bâtiment, mais pour moi c’est surtout la vie de quartier (“the community”) et le sentiment d’appartenance (“sense of belonging”).
JF : Pour moi, le logement renvoie à une structure qui doit s’adapter aux échelles sociales, autant privées que publiques. Le logement en tant qu’espace privé doit être flexible selon les étapes de la vie : un étudiant, une famille ou un senior n’ont pas les mêmes besoins. Cette flexibilité doit aussi se retrouver dans l’articulation entre la sphère privée et la sphère publique. Dans notre projet pour le plan d’Aou à Marseille, le masterplan propose, selon les différents besoins de socialisation, une large palette d’espaces allant du privé, au semi-privé, semi-public pour aller au “mégapublic”.
RF : Il y a aussi l’idée de démocratie. La diversité, être légitime dans un endroit quel que soit son arrière-plan, est quelque chose d’important quand on pense à la vie de quartier, au “être chez soi”.
SD : Le logement, ou plutôt l’habiter, c’est donc un équilibre entre diversité et sentiment d’appartenance.
JF : Oui. J’aime habiter dans Nørrebro parce que j’y croise des gens qui me ressemblent, et aussi des gens différents… Je pense que la générosité d’un quartier est importante. Générosité en espace, mais aussi générosité en matière de prix, accessibilité en fait. La diversité fait partie de la générosité d’un quartier, c’est une valeur ajoutée, même si tout le monde ne pense pas la même chose.
MZ : Pour moi, le logement est dissocié d’un sentiment d’attachement. En tant que jeune, on est tellement amené à bouger que l’on a pas le temps de s’attacher, ni l’envie puisque la plupart du temps, on ne choisit pas son quartier, on “prend ce qu’il y a” dans la mesure de ses moyens.
JF : Tu es une nomade !
MZ : Oui, en un sens ! Je pense que pas mal de jeunes seraient d’accord avec cette idée. Mon attachement, il est plutôt par rapport à arki_lab et le quartier où je travaille, et le café où je suis bénévole…
RF : Au Japon, c’est un peu la même chose ; l’identité réside plus dans les diverses activités (travail, loisirs…) et les espaces qui y sont associés, plutôt que l’endroit où l’on vit (ou plutôt où l’on dort, en fait).
JF : Peut-être que ça nous ramène à l’accessibilité ? Si tu avais la possibilité, les moyens de choisir où tu voudrais vivre, est-ce que tu voudrais ?
MZ : Oui, absolument. Mon logement ne me sert en réalité que d’endroit pour dormir… Les jeunes cherchent ce sentiment d’appartenance, ce “chez soi”. Ce n’est pas qu’on ne veut pas de cette stabilité ; on ne peut tout simplement pas se permettre financièrement, et on habite souvent “temporairement” dans un endroit (6 mois, un an…).
JF : Donc avoir une base fixe parmi toutes les circonstances changeantes est un besoin humain. La notion de logement renvoie forcément à celle de “foyer”, de “chez soi” qui est la stabilité, ou encore d’habitat ; mais ces notions sont différentes.
RF : Oui, le logement à mon sens renvoie à plusieurs formes de résidence : maison individuelle, bloc d’appartements, … Là, la diversité est nécessaire pour accueillir différents profils d’habitants. Le logement doit accueillir toutes les couches de la société.
JF : C’est pourquoi pour le projet sur le plan d’Aou, on a été inspirés par Galgebakken [NDLR : quartier résidentiel en périphérie de Copenhague, construit dans les années 1970], où j’ai habité quand j’étais étudiante. Le quartier propose des unités d’habitation flexibles selon les étapes de la vie, et les espaces extérieurs de grande qualité peuvent accueillir l’interaction sociale dans tous ses degrés. Et cela fonctionne, le profil des habitants est très varié. La structure bâtie est répétée sur tout le quartier, mais l’appropriation des espaces semi-privés permet une réelle diversité.
SD : Comment les politiques de logement peuvent-elles être efficaces ?
RF : Des exemples de bonnes pratiques peuvent être trouvés à Vauban, Fribourg (Allemagne), Bo01 à Malmö (Suède), ou encore Tjuvholmen, Oslo (Norvège) et Sluseholmen, Copenhague (Danemark). Ces 4 cas sont différents et représentent des positions politiques variées, les projets sont tirés plutôt par des valeurs sociales ou plutôt par des valeurs esthétiques, mais elles ont toutes cette variété dont on peut s’inspirer.
JF : Oui, si on compare ces 4 cas, Vauban n’est pas très esthétique au sens traditionnel du terme, mais parce que c’est diversifié, il y une réelle identité. Au contraire je pense que Sluseholmen et Tjuveholmen sont appréciés des architectes “traditionnels” parce qu’ils ont cette esthétique. Mais au moins, il y a ces recommendations pour créer cette variété et cette diversité.
RF : Le quartier Bo01 à Malmö (Suède) a été développé intelligemment par 24 équipes de promoteurs/architectes. Il en résulte une incroyable diversité, que l’on ne retrouve pas dans les grandes opérations de construction en masse des années 70. La cocréation a aussi été permise par un partenariat entre les futurs habitants et les maîtres d’oeuvres. D’un autre côté, les promoteurs ont bénéficié de bonus lorsqu’ils remplissaient des critères de développement durable établis dans le masterplan de la municipalité. La municipalité doit donc pouvoir encourager les bonnes pratiques et la collaboration dont nous avons parlé avec la carotte et non le bâton. C’est du développement intelligent.
SD : Donc, quelle échelle est la plus importante quand on parle de logement ? Ou est-ce une combinaison ?
RF : Le masterplan est un mot horrible, parce qu’il renvoie à un seul individu avec son crayon décidant pour des milliers de gens. Mais une stratégie est nécessaire, elle indique la direction, c’est essentiel. Ensuite, il faut agir à toutes les échelles, jusqu’à l’échelle de l’individu. Le seul problème, c’est que parfois la stratégie est trop fixe, elle n’autorise pas les initiatives locales.
SD : Cela dépend aussi de comment on construit la stratégie, si les habitants ont aussi un rôle.
JF : Pour moi l’échelle doit forcément être au plus proche des habitants. Une politique nationale doit servir à encourager les pratiques de démocratie locale, comme le système d’habitat coopératif, majoritaire au Danemark. Dans les coops, les habitants ont un sentiment d’appartenance parce qu’ils font partie d’une communauté locale et sont acteurs de leur environnement. Ce sont donc des politiques encourageant ces initiatives locales dont nous avons besoin – on revient encore à l’accessibilité économique. C’est aussi un moyen d’éviter la spéculation immobilière.
RF : A mon sens, le développement d’un quartier prend du temps, il doit se faire au bon rythme pour ne pas brutaliser l’existant. L’échelle, de temps ici, est donc le long terme.
SD : Quel est le rôle des architectes par rapport à ces questions ?
JF : Les architectes doivent être tout d’abord des “facilitateurs”, des coordinateurs plus que des dictateurs. Ensuite, nous devons travailler comme des généralistes. Nous devons pouvoir faire la liaison entre les différents acteurs, la question aujourd’hui est celle du processus et de la co-création. La mission de l’architecte est donc plus que simplement “modeler la ville”, notre travail réside dans l’écoute, la communication et la gestion du conflit.
RF : Ecouter les citoyens, puisque c’est eux qui habitent au final. J’ajouterais que les architectes doivent assurer une qualité ; celle qui est enseignée dans les écoles.
JF : Oui. L’architecture, ce n’est pas jouer l’artiste, c’est créer un cadre physique pour les gens. Nous devons en premier lieu comprendre les besoins primordiaux des usagers avant de créer le cadre, la structure physique qui répondra à ces besoins spécifiques. L’approche anthropologique au projet est essentielle, nous devons aller sur le terrain, être présent au site et comprendre l’espace et les gens. Le seul moyen de récolter ce savoir nécessaire pour un projet durable, j’appelle ça la “strate culturelle”, et ce n’est possible que par le contact avec les habitants, au sens large du terme.
arki_lab, urban design + strategies
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