Ravauder la ville ou les chaussettes reprisées sont plus solides que les neuves (1)

- par Pascal BOIVIN, architecte, conseiller régional de l'Ordre des architectes de Languedoc-Roussillon. habitat : mutations et innovations ?, habiter la métropole

Nos économistes raisonnent comme si nous vivions dans une société monolithe où le modèle consumériste, porteur de progrès et de croissance était le seul possible. Tous les édiles sérieux et raisonnables balayent d’un revers de main les slogans des altermondialistes, les initiatives alternatives, et les réseaux d’entraides et de solidarités qui ne manquent pas de se mettre en chemin. Ces dernières portent le message que la prise en charge responsable de chacun peut créer une économie avec de multiples rhizomes et réseaux d’enracinements, où chacun reste ancré à sa terre nourricière, plutôt qu’une économie où quelques monstres sucent le sang de la terre et redistribue d’en haut , à leur guise, les gratifications à une humanité hors sol.

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Après l’époque post coloniale où le Nord avait pris l’habitude piller le Sud sous couvert de lui apporter la civilisation, les vannes se sont ouvertes vers l’Asie et les pays émergents, et la fameuse croissance s’est faite siphonnée vers les contrées où la main d’œuvre ne coutait chaque mois pas plus cher que la ration de croquettes du chien chez nous. Il eut suffit de mettre quelques paliers de décompression au niveau du change et le choc eut été moins violent. Mais les multinationales faisaient leur beurre de plus belle, le commerce refaisait ses marges, et l’Etat rentrait autant de TVA sur le made in « pas cher » que sur le made in France. Trop tard, le mal était fait.

Ca s’appelle la mondialisation. Les perversités des uns et des autres s’y ajoutant, …

Pendant ce temps là, le populo attend que son Président et son Gouvernement le sorte de là.

Si les gouvernants de nos beaux pays occidentaux savent encore se battre pour leurs élites, qui brillent sur le terrain des produits phares, le reste de la population se trouve reléguée en équipe de remplaçants sur les marchés de ce qui ne se vend plus. Chez nous, comme c’est écrit Liberté Egalité Fraternité au fronton de la République, il n’est pas question d’entériner qu’il y a plusieurs niveaux de citoyens, ceux qui ont un travail intéressant et rémunéré, ceux qui n’en auront jamais et qui seront des éternels assistés, ceux qui dans le modèle actuel peuvent déprimer encore un moment avant que le boulot et donc le moral reviennent.

C’est à ces derniers que ce billet s’adresse et parmi eux à ceux qui sont en capacité de répondre dès demain aux défis présents pour peu qu’ils s’en donnent l’opportunité.

En France, il manque à la fois des logements, de l’activité, de l’emploi, et surtout de la Confiance. Par ailleurs, il y a un patrimoine immobilier vieillissant à dynamiser, certains particuliers ont des bas de laines qu’ils n’osent plus sortir du fait de cette confiance perdue, parce qu’ils ont peur de l’avenir.

Alors, comment donner un avenir aux français qui ont peur de leur baisse de revenu, un logement décent à ceux qui en manquent et du boulot à ceux qui sont prêts à bosser ?

En lançant une campagne d’incitation à construire un logement sur sa parcelle, dans sa maison, en valorisant le patrimoine existant. Le pétitionnaire avec la garantie qu’il en tirera un réel revenu de complément voit sa peur du lendemain pacifiée. L’investissement des ses économies incité avec d’éventuelles défiscalisation se transforme en rente et lui permet de rentabiliser son bien, en en tirant un meilleur rendement.

Il créé un logement à côté de chez-lui, propose du vivre ensemble, mutualise les équipements existants, augmente le taux d’occupation à l’hectare, pour une personne âgée, se créé un voisinage de proximité avec des gens plus jeunes qui peuvent lui rendre des services.

L’équipe de construction en profite pour diagnostiquer l’ensemble, régler les problèmes thermiques, redonner un coup de jeune au bâti, participe à redonner un nouveau visage au quartier.

L’argent sort de ses cachettes et n’est pas consommé mais investi dans du local par des locaux, pour des locaux. C’est un cocktail gagnant, gagnant, gagnant, gagnant …

L’investisseur-bailleur, le locataire, les professionnels, l’état, les paysages des quartiers, tous sont gagnants. Et même l’agence bancaire du coin qui va proposer le prêt de soutien.

Il faut que le particulier avec quelques dizaines de milliers d’euros d’apport puisse générer un plan de financement lui permettant de sortir un loyer qui couvrira le prêt et assurera ensuite un complément de revenu pour des lendemains incertains ou pour sa retraite. Il faut pour cela qu’il puisse accéder à l’assurance « impayés de loyer » à des coûts raisonnables. Il ne doit pas non plus douter que son bénéfice ne soit pompé par les charges, la taxe foncière et l’impôt foncier. Même s’elle le nie, la puissance publique a participé à détruire la dynamique et l’envie de construire. C’est l’occasion de se racheter en exerçant un bras de levier suffisant pour mettre en route cette dynamique inverse.

Pour que ce coup de pouce ne stimule pas le travail au noir et les magasins de bricolages, le cercle vertueux doit être encadré par des équipes de bâtisseurs compétents comprenant des tandems architectes-entreprises déclarés et inscrits aux registres de leur profession.

Par ailleurs, la majorité des logements et maisons « types » ont été dimensionnés pour des familles dont la structure s’est profondément modifiée en peu de temps. C’est l’occasion de reconditionner l’offre.

Pour donner CONFIANCE, il faut que l’Etat renonce à fiscaliser tous les étages, permis, construction, taxes foncières, taxes d’habitation, etc … et exerce un prélèvement approprié, une sorte de forfait global. Si l’argent de l’épargne populaire reste dormant, il ne génère pas de revenus fiscaux. Il faut lui donner une bonne raison de prendre l’air. L’opération doit être incitative durablement. Si la méfiance perdure, le coup est raté.

Malraux a sauvé le patrimoine historique. Il faut redynamiser le patrimoine modeste des quartiers vieillissants, des lotissements… La Ville sur la ville ne doit pas être un slogan mais une dynamique où tous les citoyens se sentent investis, trouvent la motivation et l’envie de vivifier et d’embellir leur cadre de vie, de le rendre mieux intégré, de gérer leur empreinte écologique, d’investir pour mieux contenir les dépenses. Il s’agit de donner au citoyen un esprit d’entrepreneur, de bâtisseur.

Au lieu de donner envie, on nous accable de contraintes et décourage toute initiative. Un entrepreneur, çà n’est pas que les capitaines d’industries, cela peut devenir le particulier lui-même, pour lui-même et pour autrui. Encourager aussi celui qui veut lancer une opération de densification ou d’habitat participatif sur sa parcelle, pour réaliser 2, 3, 10 logements …

Créer ainsi un marché de la micro-opération où les architectes engagent leurs savoir-faire pour une transformation en profondeur de la ville et assiste le particulier au montage de ces micro-opérations. Les architectes et autres professionnels doivent constituer des partenariats souples et à géométrie variable pour mettre en place des méthodes de faisabilités avec des forfaits et devis lisibles pour les clients. Ce marché doit être raisonné et raisonnable avec des prix corrects mais tenus.

Il s’agit de mettre en place une économie d’équilibre. Tout le monde peut gagner sa vie, le propriétaire avoir son complément de revenu et le locataire payer un loyer acceptable.

Si un intermédiaire passif se sucre au passage, l’édifice s’effondre.

L’architecte doit être présent car il est le garant de la cohérence du système. Sinon, tous les abus sont possibles, détournements, saupoudrages, travaux médiocres, inadaptés, incohérents, mauvais choix, … L’architecte doit pouvoir dire que telle ou telle réglementation plombe l’économie du projet. La déréglementation doit pouvoir s’appliquer au vu d’un argumentaire approprié. Les architectes sont présents sur tout le territoire et connaissent leur cité. Ils ont des talents polyvalents pour peu qu’on leur donne le soin de s’exprimer. Aujourd’hui, on ne conçoit plus qu’une voiture puisse trouver sa place sur le marché sans avoir été « dessinée ».

Le cadre de vie qui est le patrimoine commun doit suivre cette tendance. Les mesures qui poussent à isoler par l’extérieur le bâti existant, sans se poser les questions de la globalité, transformeront nos rues en alignement de gâteaux en polystyrène, comme de vulgaires gondoles de supermarché. La rénovation énergétique s’applique à des objets particuliers dans lesquels des êtres humains vivent ! Gérer les investissements de ces transformations doit se faire en se posant les questions du reconditionnement pour répondre aux besoins des décennies à venir qui ne sont pas seulement énergétiques. Il faut une cohérence. Pour concilier toutes ces variables, il faut avoir une vision, des méthodes, un sens pratique.

Quelqu’un qui engage sa responsabilité pour que tous ces objectifs soient maîtrisés en synergie. L’architecte EST le garant !

La politique de rénovation énergétique réduit la vie des gens à leur consommation de kilowatts. La dynamisation du patrimoine national privé doit être considéré dans toutes ses dimensions : sociale, structure des logements, qualité d’usages, sobriété énergétique, écologique, et dimension culturelle. Un logement, c’est le CREUSET DE LA VIE.

La demande et l’expression des besoins des résidents doivent être écoutées et entendues. Avec des entreprises certifiés et labellisés, certes, mais avec elles, l’architecte créera du patrimoine parce que l’argent sera investi selon une lecture de critères multiples, évalués, hiérarchisés et choisis, pas selon la seule lorgnette de la rénovation énergétique.

Au lieu de stigmatiser une profession réglementée, de jeter discrédit et suspicion sur les architectes, pour leur sucer leurs dernières gouttes de leurs sueurs déjà froides, célébrons ces trésors vivants et donnons leur les moyens de recréer la substance de nos villes.

A suivre…

Pascal BOIVIN Va-nu-pieds de l’architecture … et Conseiller régional de l’Ordre des architectes de Languedoc-Roussillon

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