Prenons les devants sur le bilan carbone

L’année dernière, lorsque nous avons fortement augmenté les performances thermiques de nos logements avec la nouvelle réglementation « RT2012″, nous avons réduit les factures des habitants, mais aussi leurs consommations d’énergies diverses.
C’était donc une bonne idée économique et écologique, mais dans les détails, il reste bien des choses à améliorer, et d’autres à vite modifier.
L’année dernière encore, lorsque certaines régions et communautés urbaines ont décidé de généraliser le label « Habitat & Environnement » à tous leurs projets de logements, elles avaient certainement une volonté positive de qualité de construction et de respect de l’environnement.

L’impact d’une construction sur l’environnement s’étudie en trois étapes : La construction, l’utilisation, puis la destruction.
Lors de leur utilisation, nos nouveaux logements consomment maintenant moins d’énergie et dégagent moins de CO₂ (et moins de déchets nucléaires, et autres énergies non renouvelables). Pour les logements anciens, le chantier de la rénovation est lancé.
Il va falloir se pencher sur les premières et dernières étapes.

A la construction, les matériaux de construction les plus répandus, le béton et le parpaing, dégagent une quantité importante de gaz à effet de serre.
Une tonne de ciment, c’est une tonne de CO₂ dégagée dans l’atmosphère :
- une demi-tonne pour la fabrication du ciment dans des fours rotatifs à 1 500 °C,
- puis une autre demi-tonne pour la réaction chimique sur chantier.
J’estime que les murs et dalles du logement moyen en maçonnerie dégagent 15 à 20 tonnes de CO₂. Cela représente environ 200 000 km en voiture, soit 13 ans d’utilisation moyenne d’une auto pour un français.

Avec la construction bois, c’est le contraire. Selon les essences de bois, la quantité de CO₂ retirée de l’atmosphère est variable, mais la moyenne est à 500 kg de CO₂ stockés pour une tonne de bois.
Donc, si l’on voulait améliorer le bilan carbone de nos chantiers, il faudrait construire en bois et éviter le ciment. Nous pourrions ensuite remplacer la laine minérale par de la fibre de bois ou de la paille, pour aller encore plus loin. Tout ceci est possible, ce sont des techniques constructives accessibles.

La question de la fin de vie du bâti est importante, car les modes de vie évoluent de plus en plus vite et la longévité des bâtiments est certainement en train de diminuer.
Lorsque le bâtiment est devenu obsolète, le bois est facilement démonté et réutilisé, ou simplement adapté aux nouveaux besoins sans destruction. Au pire, il sera brulé pour chauffer des logements ou produire de l’électricité. Les vis métalliques sont facilement recyclées. Le chantier se fait avec de simples visseuses et une grue.

Malheureusement, le béton est découpé, démoli, transporté, enfoui quelque part pour des milliers d’années. Au mieux, je crois qu’on en a fait des autoroutes inconfortables, mais jamais à ma connaissance de nouveaux bâtiments ou d’énergie pour les chauffer. Il faudrait y travailler.

Pour en revenir au Label H&E, il impose davantage de travail aux équipes de maîtrise d’œuvre s’ils construisent en bois plutôt qu’en maçonnerie. Et encore, s’ils y arrivent…
Ils doivent calculer, prouver, justifier, pour démontrer qu’ils obtiennent, la plupart du temps, un meilleur résultat qu’en construction « classique ». Mais les maîtres d’ouvrage n’ont pas prévu de payer davantage leurs architectes et leurs ingénieurs pour construire mieux. Sans le vouloir, ce label pousse indirectement les équipes à continuer les méthodes de construction « classiques » …et polluantes.

En parallèle, notre parc automobile est en pleine transformation depuis le système du Bonus / Malus. Il n’est pas parfait, il mériterait d’être affiné, notamment sur l’incitation à l’achat de petites voitures urbaines à moteurs diesel, mais il a des résultats concrets sur le CO₂.

Plutôt que de laisser produire des réglementations nous empêchant de travailler, puis de les combattre, nous pourrions nous charger volontairement d’inventer les règles de la qualité, en amont.

Plutôt que de laisser produire des labels qui figent les méthodes constructives, je préfèrerais l’adaptation du principe de Bonus / Malus aux dégagements de CO₂ de nos chantiers.
La filière française des matériaux naturels (bois, paille, terre, recyclage, etc.), énorme potentiel d’emplois, s’en trouverait développée et solidifiée.
Les maîtres d’ouvrage comprendraient leur intérêt (financier) à innover et construire propre.
Le climat et tous ceux qui souffrent, et vont souffrir, de son dérèglement, nous diraient merci.

Alors, c’est sûr, il y a bien quelques lobbys qui ne vont pas aimer…
Ce sont les mêmes qui volent le sable au large des plages et on nous dit que les tempêtes sont seules coupables du bouleversement des côtes.

Un bonus pour le bâtiment qui capte du CO₂ et un malus pour celui qui en dégage trop dès sa construction.

A terme, nous pourrions annuler notre production globale de CO₂ bâtiment, sans réduire la qualité, l’usage, le confort, la durabilité, ou l’adaptabilité. Bien au contraire.

Ne prenons pas le risque d’attendre qu’un règlement sur le bilan carbone nous soit imposé, aussi mal pensé que d’habitude, par des gens qui n’ont pas l’air de connaître les contraintes de la conception d’un projet. Ca va arriver, c’est sûr, puisqu’il y a des professionnels dont c’est le métier de calculer les bilans carbone.
Ils vont bien nous sortir un texte un de ces jours…

Prenons les devants et agissons en amont ?

Julien VINCENT, architecte (Bordeaux)

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3 commentaires au sujet de « Prenons les devants sur le bilan carbone »

  1. Wiedmaier Sacha ( ADID Architectes )

    Architecte - Ville > 50.000 habitants - 33200
    Très bonne idée, le Bonus / Malus, mais cela demanderait d’avoir des contrôleurs. Déjà que celui du respect de la RT2012 n’est pas évident, comment celui d’un bilan carbone pourrait-il être réalisé avec justesse et facilement … Bien que les architectes sont plutôt honnêtes sur les bilans RT2012 de leurs projets, et pousse vers le haut de la qualité énergétique, j’ai régulièrement des doutes sur les maisons de constructeurs qui sont trop souvent limite pour des raisons simplement financières … Qu’en sera-t-il du bilan carbone ??
    Pour les concepteurs, un premier pas significatif serait d’avoir un registre officiel des caractéristiques de tous les matériaux, afin de connaitre leur bilan carbone ou mieux leur énergie grise de fabrication, de transport et de pose. Chaque concepteur volontariste pourrait alors faire des choix en connaissances de cause pour réduire l’impacte de leur constructions.
    Il faut inciter les fabriquant de matériaux à généraliser les cartes d’identités pour chaque matériaux indiquant l’énergie grise réelle, la provenance d’usine et l’énergie moyenne consommé pour la pose, et le bilan carbone moyen …
    Les concepteurs et prescripteurs avertis pourront alors indirectement influencer les fabricants par la mise en concurrence des matériaux les plus éco-responsables, faisant , à terme, réduire les valeurs des matériaux les plus énergivores et les plus polluants …

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  2. VINCENT Julien

    Architecte - Métropole - 33000
    Merci Sacha pour cette réflexion !
    Je suis assez d’accord. Un système plus passif et moins contraignant serait certainement mieux.
    La seule chose, c’est qu’il faudra que ces cartes d’identités d’énergie grise soient produites par un organisme réellement indépendant et dans ce cas, cela pourrait fonctionner.
    Quand je vois le rapport de juin du SNBPE (syndicat du béton) qui dit N’IMPORTE QUOI, chiffres faussés à l’appui, sur bien des aspects du béton et de ses impacts, je me dis qu’une étude, commandée à un « organisme indépendant » par celui qui a tout à y gagner, ne sert pas à grand chose, voire peut être dangereux.
    Dans tous les cas, le but de mon message est de faire avancer le sujet avant que les Lobbys ne s’en emparent. J’espère que nous serons plus que tous les deux à en discuter et qu’un résultat pourra être obtenu.
    A +

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  3. Gainche Mathieu

    Architecte - Village - 71390
    Je retiens de cette proposition davantage l’idée de créer nous aussi un label (un de plus, et alors?) plutôt que le bonus/malus, qui rajouterait de la paperasse ou des contrôles, et n’irait pas dans le courant actuel, réaliste ou non, de diminuer les freins à la production, par la suppression de normes (lesquelles? où en est cette histoire, d’ailleurs?). Quant au comptage de l’impact carbone, il me semblait que les FDES, certes illisibles, doivent en faire état. Alors ce truc serait davantage à améliorer qu’à ajouter.
    Pour le label, nous devrions, nous architectes, établir une charte de qualité et une grille d’évaluation s’affranchissant de toutes les absurdités actuelles, citées en partie dans les interventions ci-dessus. Ensuite, un label ne fonctionne qu’avec une bonne notoriété, ce qui implique une recherche de partenaires à convaincre, amenant savoir-faire en com, moyens, etc… lourd à mettre en place, c’est un vrai job, il faudrait à mon sens au moins entraîner l’Ordre dans l’aventure.
    Un label fonctionne s’il est connu, mais aussi quand il apporte un bénef évident au demandeur : soit une aide financière concrète (c’était le cas du BBC-Effinergie, tellement bien que… supprimé!!) soit une valorisation certaine du bien. Dans notre cas, le problème serait qu’un label attribué par les architectes étant étroitement lié à la réputation de ces derniers, il faudrait, pour commencer, faire notre propre ravalement avant de prétendre avoir des leçons à donner, et là, ce n’est pas gagné… Mais justement, rien que pour être confrontés à ces questionnements, la démarche serait profitable à tous, que ce projet aboutisse ou pas.

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