Vivant et travaillant entre Ajaccio et un village à une heure au sud; depuis bientôt 17 ans en Corse, sur cette île très peu peuplée, il m’est permis de dire qu’il s’agit pourtant déjà d’un espace péri-rurbain, mis au parfum de la suburbia quasi mondialisée. Animée et traversée par nos vies archipels (c.f. La Société d’Archipel Jean Viard, aux Editions de l’Aube 1994).
Ses désirs et les impositions financières exercées sur cette classe moyenne encore en mesure de construire, établissent les réelles innovations (habitat groupé notamment) et les pouvoirs publics ne font que suivre poussivement côté urbanisme, tandis qu’ils pendulent à l’extrême côté normes – les mêmes ronds de cuir de l’amiante, des maisons cairons et laine de verre et de l’urban sprawl désormais retoquent tout ce qui n’est pas handicapable, RT 2012, et non en extension d’un hameau ancien !!! Retoqués économiquement, leur rêve individuel désormais regroupé, trendsetters malgré eux, se voient en plus imposer un comment vivre à la prise près, pris en tenailles d’une foultitude de cahiers des charges accumulées et pour certaines contradictoires, à se capitonner, murs planchers et plafonds tapissés de normes, d’un standard ès-norme puissance mille.
On comprend l’envie de yourtes, de camping à l’année, de mobile-homes. Et pourquoi cela ne serait-il pas la manière la plus adaptée de vivre le monde tel qu’il est et se dessine chaque jour? Les mouvements migrants économiques, politiques, les territoires mis en jachère de vie, ceux surexploités en fin de vie. Demain sera gitan.
Nos vies archipels relèvent d’appartenances reconfigurées – le lieu de la vacance, chez les grands-parents en Province (s’ils sont encore là-bas et ensemble!) pèsent plus dans l’imaginaire des enfants qui se construisent leur identité que la vague banlieue entre l’arrêt de bus au bout de la rue, le complexe scolaire en préfa et le shopping mall qui a déjà changé trois fois d’endroits et dix fois de look. On n’habite plus telle ou telle ville, à Paris ou à Dijon. On est sur Toulouse ou sur Strass. En fait on réside à Blagnac ou Cronenbourg, on travaille à Sélestat ou au Mirail. On a un chalet au Champ du feu ou une bâtisse retapée dans les Corbières. On passe deux semaines chez mémé dans le Haut-Doubs et en février à Luchon faire du ski. Depuis dix ans, tous les deux ans on part à Bali, les autres années on fait une croisière en Méditerranée. Cet on c’est déjà le haut de gamme, l’arriviste moyen, pour une grande majorité la vie archipel est moins distendue, moins écartée, mais toute aussi éclatée, délocalisée au sens qu’il n’y a plus culture d’un lieu, donc ni lieu ni culture – doublon nécessaire pour leur existence et la co-existence, un vivre ensemble. A la différence du village où les haines étaient incarnées de génération en génération même, aujourd’hui elles sont diffuses, dirigées vers l’inconnu, l’étranger qu’on a jamais croisé, le concept pointé par le populiste et puis finalement vers quiconque qui n’est pas soi quand il faudra passer à l’acte: quand on réalise qu’on ne s’y retrouve pas, qu’on ne sait pas où l’on est, comment se positionner.
Je suis sûrement hors sujet. Mais je crois que le sujet, les thèmes sont eux-mêmes sortis de leurs gonds. Tous, politiques, urbanistes, architectes ont une question à se poser, pour les habitants sans habitudes, pour eux-mêmes organisateurs (qui en ont la prétention mais qui sont eux-mêmes cobayes de leurs prospectives): Celle de l’Où sommes-nous? Quel lieu ? Cette question est-elle encore posable, superposable sur la fabrique de l’écoumène à venir?
Apprendre à vivre avec de plus en plus de gens, tel est le défi aussi dés aujourd’hui – revenir à l’architecture, vite ! De celle qui travaillait aux vis-à-vis, aux entre-deux, à l’espace partagé…
Hugues ROLLAND, architecte, Corse
Architecte - Ville > 50.000 habitants - 30900
Pierre Rhabi relie la souffrance de l’homme contemporain au fait qu’il soit « dénaturé », c’est à dire coupé de la nature. Comme si la ville était une culture humaine « hors sol ». Les champs de blé dressés il y a quelques années sur les champs élysées ont pour pendant le ruban de voitures qui déferlent sur le bitume de notre été en province.
Si demain est gitan, Rudi Ricciotti risque d’être le prochain ministre prodige des finances ou plus encore, qui sait ?
50 ans en arrière les villes étaient encore attachée à la terre qui les portaient et leur empreinte s’appelait le terroir. Aujourd’hui, chaque geste quotidien met en route un porte conteneur depuis l’Asie, un pétrolier depuis le Moyen Orient, et nos rêves vont chauffer les serveurs d’un data center lointain. Nos actes sont déjà nomades.
Nous devrions livré 1 m3 de « terre d’ici » (quand il en reste) dans chaque appartement entre le salon et la chambre des enfants. Ils pourraient ainsi jouer à perdre leur smartphone dans l’herbe.