Métropole, un projet mobilisateur pour le logement

- par Jean-Michel DAQUIN et Cécile FRIDÉ. habiter la métropole

Habiter la métropole est une question sociale majeure en Ile de France. L’action contre la crise du logement et contre les inégalités qui marquent fortement les métropoles, et particulièrement celle de Paris, restent prioritaires.

L’objectif est de construire 70 000 logements en Ile de France. Il est très loin d’être atteint et se heurte aux réalités de terrain: rareté et coût du foncier, coût élevé de la construction, mais aussi réticence à la densité fréquente parmi la population et frilosité de nombreux élus vis à vis du logement social.

 

La question qui se pose est comment atteindre l’objectif fixé, et comment le définir. On parle de « construire plus, plus vite et moins cher », mais la réponse ne peut être uniquement comptable. Habiter est une valeur culturelle qui doit se nourrir aujourd’hui d’une réflexion anticipatrice des évolutions de la société. Dire aussi « construire mieux », c’est se donner un atout supplémentaire pour sortir de la crise du logement.

On pouvait hier habiter un quartier comme un village sans le quitter, et vivre bien. Aujourd’hui il en est tout autrement. Le développement de services à plus grande échelle, à la fois en termes d’offre sur le territoire métropolitain, de spécialisation et de distance, transforme nos modes de vie.

La crise et les mutations urbaines, liées notamment à l’accroissement des déplacements, à la désindustrialisation, à la ségrégation spatiale, aux modes actuels de consommation, exigent de nouvelles solidarités, de nouvelles formes typologiques et de mixités, une autre qualité de vie en ville, pour un vrai « plaisir d’habiter » – formule qu’on n’ose prononcer tant elle est éloignée de la production normalisée actuelle.

Etre relié au territoire est devenu une nécessité impérieuse pour chacun. En témoigne le développement des déplacements choisis, qui sont plus importants qu’il n’y paraît. Le métro du Grand Paris Express, qui va mettre chaque habitant à moins de 2 km d’une gare, va réparer une grande injustice territoriale et rapprocher de l’emploi et des aménités de la métropole certaines zones aujourd’hui reléguées. Des quartiers en difficulté et loin de tout vont, avec l’arrivée de nouvelles gares, participer de nouvelles centralités, à condition que leur réaménagement soit anticipé dès maintenant.

 

La métropolisation est un mouvement irréversible.Comment faire de cet état de fait un projet mobilisateur, pour le développement économique, les politiques sociales et l’aménagement de la ville durable.

La loi MATPAM de 2014 a posé les objectifs de la Métropole du Grand Paris, « constituée afin d’améliorer le cadre de vie de ses habitants, de réduire les inégalités entre les territoires qui la composent, de développer un modèle urbain, social et économique durables, moyens d’une meilleure attractivité et compétitivité au bénéfice de l’ensemble du territoire national. Elle élabore un projet métropolitain»

Au-delà des clivages politiques la question est de savoir quelle est la bonne échelle de décision et de gouvernance des grandes agglomérations urbaines ?

La fabrication de la métropole parisienne, sorte de laboratoire de refonte des règles du jeu, soulève l’ensemble des enjeux de pouvoir et d’équilibre aux différents échelons auxquels sont directement soumis les aménagements et la construction.

La création de la Métropole du Grand Paris -la  MGP- a d’abord posé la question de son périmètre. Les études réalisées sur l’espace métropolitain ont montré que ses limites sont fluctuantes, selon que l‘on aborde la métropole par le bâti, les bassins de vie, le paysage, l’enseignement supérieur, les infrastructures…

Pourtant les limites administratives de la MGP telles qu’elles ont été fixées sont bornées à Paris, les 3 départements de la première couronne (ancien département de la Seine) et les communes limitrophes souhaitant s’y associer, ce qui paraît déjà obsolète et contradictoire avec les réflexions des équipes de l’AIGP, des architectes et des experts sur la métropole. Il faut tenir compte des continuités, des flux, des réalités économiques, de l’interaction des territoires. La relation de la ville diffuse à la ville dense doit être aussi intégrée et les zones périurbaines prises en compte comme étant partie prenante de la métropole et de sa gouvernance. La rareté du foncier en zone dense et la recherche de nouvelles opportunités constitue, s’il en était besoin, un argument supplémentaire.

L’échelle régionale, qui recouvre des problématiques aussi différentes que les transports, la densité, la limitation de l’étalement urbain, les espaces boisés, le logement, l’agriculture, les villes nouvelles… semble ainsi plus pertinente.

 

Les outils politiques mis en place pour la métropoleimpacteront directement les choix urbainset le niveau de la qualité architecturale, spatiale et sociale de nos villes, au centre desquelles le logement en est le ferment. L’architecture est définie par la loi comme étant d’intérêt public, par conséquent la société, par ses modes de gouvernance, doit offrir des conditions opérationnelles et l’adaptation des échelles de décision à la conception d’un cadre de vie de qualité.

Le développement économique de la métropole, la crise du logement et les inégalités territoriales ne peuvent être saisis et résolus qu’à la condition de les globaliser et de les traiter au-delà des limites des communes ou des intercommunalités telles qu’elles sont organisées aujourd’hui. Les problématiques de grande échelle se heurtent à des instances qui ont atteint une taille critique et agissent en ordre dispersé sans être capables d’apporter les bonnes réponses.

Mais il n’en reste pas moins que la fabrication de la Métropole du Grand Paris fait resurgir la crainte de la recentralisation. Et en effet, cette nécessaire appréhension à l’échelle métropolitaine ne devra pas être réalisée au détriment des spécificités des territoires et de leur équilibre. L’échelon local reste le plus pertinent pour les stratégies de proximité prenant en compte les besoins des habitants et les particularités locales.

La proximité reste une valeur fondamentale de l’habiter, depuis l’intime, le voisinage, jusqu’au quartier, et plus largement jusqu’aux services offerts aux habitants au niveau de l’intercommunalité, comme les équipements culturels, sportifs ou de loisir. La métropole ne peut être une abstraction éloignée du terrain, les architectes le savent bien, eux qui attachent une grande importance aux spécificités des sites et des territoires, au contexte, au rapport sensible entre l’habitant et son environnement.

Les intercommunalités créées ces dix ou vingt dernières années ont su tisser des liens avec leurs territoires et ont contribué à un aménagement urbain de projet et au développement économique, à l’instar de Plaine Commune, aujourd’hui second pôle économique en Ile de France.

Les professionnels du cadre bâti devront pouvoir compter en métropole parisienne sur des structures qui leur permettent de traiter de manière fine l’ensemble des aménagements et opérations de construction. Face à la question foncière, qui est devenue le premier blocage à la construction et l’aménagement, l’EPF (établissement public foncier) représente un outil à l’échelle de l’Ile de France en mesure de porter les terrains au profit des collectivités, mais aussi à préparer les projets d’aménagements, à valoriser des terrains déclassés, des friches, des délaissés d’infrastructures. C’est là une opportunité nouvelle pour les architectes d’intervenir en amont de la chaine de production des opérations.

 

La métropole interpelle l’architecte comme citoyen et comme professionnel.

Alors que la société française est en train de changer en profondeur, à l’heure où le contrat social implicite qui reposait sur les collectivités publiques se trouve remis en cause – et avec lui toutes les structures de cohésion économique qui restaient un vecteur de solidarité – il est fondamental de préserver la notion de l’intérêt public de l’architecture, et de lui donner les moyens d’être défendu, en tout premier lieu pour donner l’accès à des logements et des quartiers dignes et adaptés à la demande.

Les aménagements architecturaux et urbains doivent par nature s’appuyer sur les 3 échelons :

  • L’échelon global, qui permet de mettre les actions en cohérence et de voir grand
  • L’échelon local qui permet la prise en compte plus fine des spécificités des situations
  • auxquels il faut ajouter l’échelon des usagers, dont on est bien obligés de déplorer l’insuffisance dans la gouvernance urbaine.

L’intervention sur l’espace urbain nécessite toujours plus un travail pluridisciplinaire associant des expertises croisées, sociologiques, environnementales, économiques.

Le métier de l’architecte change, sa mission de conseil est plus transversale et s’ouvre sur des champs nouveaux, appelle de nouvelles compétences. La nécessaire compacité de la ville dans la zone dense engage par exemple au quotidien l’architecte pour convaincre les élus et les habitants réticents qu’elle peut apporter des services complémentaires, que la densité peut être perçue différemment selon la façon dont on conçoit un quartier ou un bâtiment, la mixité et l’intensité urbaine qu’elle installe.

L’architecture qui répond à des exigences en termes de cohérences traduites dans les projets urbains, les PADD et PLUI…n’est pas le geste isolé de l’architecte démiurge, elle est un vecteur contributif, catalyseur d’un ensemble.

L’architecture est encore trop souvent perçue comme un acte uniquement esthétique alors qu’elle porte d’autres valeurs en termes d’usages, d’espace, de qualité environnementale, et qu’elle s’inscrit dans le mouvement de la culture de la société. L’architecte porte une responsabilité nouvelle dans l’aménagement du territoire. Il n’est pas seul, à ses côtés on trouve de nombreux acteurs, des élus, des aménageurs, les CAUE qui sont des structures essentielles dans la fabrication de la métropole, bien qu’ils soient aujourd’hui structurés au niveau départemental.

Répondre à la demande sociale est indissociable d’une réflexion sur les nouvelles formes de l’habiter, la capacité de l’habitat à se transformer, à évoluer, à être réversible. Cela pose inéluctablement le problème du rôle des opérateurs, trop souvent enfermés dans la normalisation et une approche commerciale du logement. De nouveaux modes de production du logement et de montage des opérations doivent se développer. Ils légitiment, là aussi, l’utilité de l’architecte dès la phase amont.
En conclusion, habiter la métropole devrait être un sentiment vécu et partagé par tous, pourtant tel n’est pas le cas. L’agglomération parisienne, comme d’autres, s’est construite de façon fragmentée, par exclusion, opposition entre le centre et la périphérie.

L’identité commune de la métropole est à construire, en s’appuyant sur des valeurs de solidarité, culturelles, environnementales, sur une vision ouverte de la ville, un espace public générateur du vivre ensemble, sur une qualité urbaine et architecturale instillée dans l’ensemble du territoire.


Jean-Michel DAQUIN, Président de l’Ordre des architectes d’Île-de-France

Cécile FRIDÉ, conseillère de l’Ordre des architectes d’Île-de-France en charge des questions sociétales et culturelles.

Partagez

Un commentaire au sujet de « Métropole, un projet mobilisateur pour le logement »

  1. Laurent Quioc

    Architecte - Ville < 50.000 habitants - 97436
    Tout cela est hélas bien vrai et confirme que la pression de la demande de logement sur cette région,au lieu de diminuer,augmente alors que la désertification du territoire s’aggrave.L’effort pour densifier la RP est légitime mais ne devrait pas être au prix du rééquilibrage des petites villes de province en voie de disparition.On aurait pu croire qu’avec la désindustrialisation et le télétravail la décentralisation aurait trouvé un second souffle mais ce n’est pas évident;

    Répondre

Commentez

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.