Peut-on dissocier la définition de l’écologie de la manière dont on la vend à la population ?
Cette dernière décennie, les campagnes de promotion de l’écologie exploitent toutes plus ou moins les mêmes arguments.
- pour le diagnostique : « la planète est en danger », « La fin du monde est proche », « la banquise fond de plus en plus vite », « la biodiversité est en danger », « les scientifiques sont unanimes », « notre civilisation est malade », « l’activité humaine est néfaste », « le laisser aller nous tuera », « vous ne vous en rendez peut-être pas compte, mais vous êtes déjà en difficulté », « vos enfants seront malheureux », « honte à vous », « vous refuser de voir, vous faites l’autruche », etc. Pour les visuels, le discours est toujours accompagné d’un diaporama qui commence par un oiseau englué dans une marée noire et se termine par un paysage remarquable « beau mais plus pour longtemps ».
- la proposition de remède : « vous devez changer », « vous devez être responsable », « vous devez investir votre argent dans l’écologie », etc.
Cette stratégie de marketing est la même du simple militant dans son potager jusqu’aux personnalités influentes tel l’économiste Rifkin. Elle utilise la peur, et fait appel à l’empathie et au sens des responsabilités de l’auditeur pour l’amener à changer au profit d’un comportement écologique.
Je cite Rifkin car sa théorie de relancer l’économie en faisant de l’écologie « le nouveau produit à la mode à vendre » est séduisante. Cependant, je trouve que les moyens pour y parvenir sont inadaptés. Notamment la stratégie publicitaire, ou de ralliement pour la bonne cause et l’intérêt général.
Ce discours alarmiste incite à la peur du désastre. Pour ma part, quand je pense désastre, mon réflexe est davantage de faire des provisions et d’économiser plutôt qu’à dépenser mon argent dans des gadgets expérimentaux tel panneaux solaires et autres, qui plus est, ne sont que des gouttes d’eau dans l’océan (la mauvaise foi aidant, je n’en sais rien, mais c’est ce qu’on dit). C’est variable d’un individu à l’autre, mais pour beaucoup et moi-même, la peur n’incite pas à agir, elle pétrifie sur place dans la passivité.
L’appel au sens des responsabilités, peut également se retourner contre la cause écologique. Parce que quand quelques chose ne va pas, c’est toujours plus facile de se dire que c’est la faute des autres que de soi-même. Quand quelqu’un fait un effort, il attend généralement une reconnaissance en retour. Faute d’en avoir, il développe une méfiance envers le voisin qui fait moins d’effort que lui. « J’ai fais ma part, c’est de sa faute si ça continue d’aller mal ».
En tant qu’architecte, j’essaie systématiquement de vendre l’écologie aux potentiels clients lors d’établissement de devis. Je n’ai pas eu le moindre succès avec les labels, les gadgets RT2012, ni même un mode de vie proche ou au moins respectueux de la nature.
Les clients qui me contactent, viennent toujours avec ce qu’on pourrait appeler un projet de vie. Celui-ci est alimenté par leur envies, leur besoins de confort, les qualités qu’ils recherchent, l’avenir qu’ils se construisent entre confort et bonheur.
C’est un hors sujet total de vouloir imposer la peur du désastre et la méfiance des autres dans le projet de vie des futurs occupants de nos bâtiments.
Si on regarde dans le passé, comment s’est vendue l’American Way of Life ? Quels arguments ont incité des jeunes adultes, à s’endetter sur 25 ans pour s’acheter une maison dans un lotissement, une voiture, des vacances, du mobilier plus décoratif qu’utile, puis pour leur enfants, des activités périscolaires et des hautes études et leurs implications coûteuses (chambre, voiture, frais), etc. ?
Pour ma part, j’en retiens une publicité de famille idéale prenant le déjeuner dans son jardin sous le soleil en compagnie du chien et de l’ami Ricoré. Soit un marketing, de la séduction, du rêve. La proposition d’un mode de vie agréable comme argument de vente (l’efficacité du produit alors vendu est un autre débat que je n’aborderai pas ici au profit de l’aspect publicitaire).
Pourtant, l’AWL n’avait pas que des avantages : le mari dans les bouchons pour ses 8 heures de travail journalier pour rembourser le prêt bancaire, l’épouse modèle qui s’ennuie à mourir à faire le ménage en continue dans une maison vide la journée, les vacances dans des lieux surpeuplés et caricaturaux, le jardin rempli de crottes de chien, et l’ami Ricoré qui n’est jamais là quand il faut tondre la pelouse.
L’écologie a évidemment ses inconvénients et contradictions. La collection de poubelles puantes multicolores dans son appartement en ville pour trier ses déchets, c’est pas séduisant (même si dans les faits, on trie rarement en ville). Le bus c’est moins la frime que la belle carrosserie. La vie collective imposée, d’accord quand on a besoin de contact social permanent pour être heureux, moins quand on est introverti. Les grenouilles c’est gluant et affreux. Où caser le potager dans un appartement T2 en plein centre de Paris ? Les matières premières polluantes, c’est pas bien mais utile quand même. La pénurie de ressources naturelles, oui c’est un problème surtout quand on fait parti des pauvres.
Ne pourrait-on pas remplacer la peur écologique par l’envie écologique ? Comment ? N’est pas un rôle pour l’architecte d’aider à construire une image séduisante de l’écologie dans la culture collective ? A quoi ressemblerait un projet de vie agréable parce qu’écologique ?
De l’écologie en ville ? la présence de la nature et de la verdure est elle indispensable, ou l’espace urbain minéral peut-il être écologique ?
Est-elle compatible avec les stratégies économique actuelles, comme vendre un temps d’utilisation d’un produit plutôt que le produit en lui-même ? Ou faut-il la vendre à l’ancienne comme une friteuse de qualité indestructible que vous conserverez pour l’éternité (cf « développement durable » dans un dictionnaire).
L’écologie peut-elle, ou doit-elle, être source de progrès ou d’effacement ? de croissance ou de régression ? ou de reconversion ou de reconstruction de notre civilisation sur elle-même ?
Peut-on dissocier la définition de l’écologie de la manière dont on la vend à la population ?
Alexis DELINSELLE, architecte, PONT-A-MARCQ (Nord)