« Si l’on savait tout ce que l’on peut oser… »

Les points de vue qui s’expriment de toute part sur la crise du logement aboutissent à des constats convergents, en dépit, paradoxalement, des positions différentes de leurs auteurs. Les promoteurs et les locataires disent en la matière des choses semblables dans les remèdes qu’ils proposent.

Quelle est la situation ? On compte en France 33 millions de logements. Leur simple renouvellement implique la construction de près de 300.000 logements neufs par an. Le besoin de 500.000 logements par an affirmé depuis des années tient compte de cette donnée, de la croissance démographique et des besoins qui résultent, de l’éclatement des structures familiales et surtout du rattrapage de ce qui n’a pas été construit.

Ce qui se construit en ce moment, en dépit de la séduction des images et des publications, n’est pas satisfaisant sur trois plans :

  1. Sur le plan financier tout d’abord, le coût moyen de construction d’un logement HLM à Paris tangente les 2.000 €HT le m²/SHAB, 1.500 €HT dans la périphérie. Les loyers ou les intérêts mensuels des emprunts qui en découlent sont insupportables pour la majorité des français. L’objectif de 1.250 €HT le m² SHAB est souhaitable, mais faut-il amortir avec les mêmes emprunts le gros-œuvre, soumis à la garantie trentenaire, le second œuvre qui répond à la décennale et les garanties biennales des peintures ou papiers peints ?
  1. Sur les plans morphologiques et typologiques, les systèmes de distribution collective (couloirs étroits et non éclairés), la surface des logements (trois pièces de 58 m²), l’absence de jour naturel dans les cuisines et dans les salles d’eau, sont en retrait des acquis des logements construits dans les années 70/80 avec l’aide du Plan Construction, en réaction contre les grands ensembles. Aujourd’hui règnent des modèles implicites qui répondent au slogan « mon public aime cela », comme le disent les distributeurs de navets.
  1. Sur le plan architectural, une ville, quelle que soit sa densité, ne peut être une étagère portant des architectures toutes différentes, toutes différemment bariolées, toutes différemment carrossées. Elles doivent être compatibles entre elles, avec celles qui les précèdent, avec celles qui vont les suivre. Contrairement aux objets industriels, le logement, bien situé, dure un siècle aujourd’hui en raison des normes appliquées. Il ne peut être à la mode sous peine d’être démodé.

A cela s’ajoute une évidence, un couple avec deux enfants, s’il a un revenu médian, peine à se loger à Paris, dans d’autres métropoles aussi, et doit chercher un toit dans une périphérie de plus en plus lointaine, en proportion de ses revenus. Cette situation entraîne une généralisation des transports individuels en réponse à l’absence d’un maillage complet de transports en commun dans les zones urbaines. D’où une augmentation des dépenses. Dans le même temps, la réglementation oblige à ce que les logements neufs consomment 50 kw/h d’énergie primaire au m² par an, alors que le parc des logements anciens est 4 à 8 fois plus dépensier sur le plan thermique. Le gisement immédiat d’économies énergétiques est donc dans la rénovation de l’existant, comme dans la mise en service de lignes nouvelles de transports collectifs.

Pour résorber la crise du logement, il faudrait donc agir sur deux leviers :
-          Le foncier d’abord. L’achat du foncier en zone urbaine et une aberration car la rente qui en résulte n’est que le résultat de l’investissement public. La location des sols, à l’image de ce que pratique avec bonheur l’aristocratie anglaise, si elle était imposée par la loi, au même titre que l’expropriation, mais sans dépossession, aurait un effet immédiat. Elle réduirait en tous cas les frais de portage qui atteignent en moyenne 17% du prix de revient.

-          Le coût de la construction est actuellement trop élevé en France. A cela, plusieurs raisons : le recours croissant aux entreprises générales, s’il assure le respect des délais et de la bonne fin du chantier, se fait au détriment des PME et PMI, soumises à l’adjudication dans l’adjudication et fragilisées. La structure des prix s’en ressent. Le coût du gros œuvre et les frais de chantier, pour des raisons financières (tête de bilan) sont majorés, aussi pour assurer l’organisation et l’OPC du chantier, le logement est donc trop cher, non seulement en général mais aussi pour ce qu’il est. L’isolation par l’extérieur aboutit à des façades coûteuses et fragiles. La réglementation sur les handicapés étendue à tous les logements coûte l’équivalent de 15.000 logements par an. Les handicapés moteurs représentent 0,30% de la population française. S’ils doivent accéder à tous les logements neufs, ils ne vivent pas dans tous.

L’addition des coûts d’acquisition foncière et des coûts de construction aboutit à un taux d’effort des ménages qui atteint et dépasse le quart de leurs revenus. Le double de nos voisins allemands. La compétitivité va quelquefois se nicher où on ne l’attend pas !

On voit donc que la crise du logement ne dépend pas que de la loi Alur, mais que sa solution exige un peu de détermination et de constance. Mirabeau résumait son expérience politique en une excellente formule « si l’on savait tout ce que l’on peut oser ».

Cela reste d’actualité.

Paul CHEMETOV, architecte
Le 19/09/2014

 

 

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4 commentaires au sujet de « « Si l’on savait tout ce que l’on peut oser… » »

  1. RIEU Françoise

    Architecte - Ville > 50.000 habitants - 34000
    « …Les handicapés moteurs représentent 0,30% de la population française. S’ils doivent accéder à tous les logements neufs, ils ne vivent pas dans tous… »

    CHOQUANT !!!!!

    Est il besoin de rappeler à Monsieur CHEMETOV, Architecte par exemple que :
    - les personnes à mobilité(s) réduite(s) (handicap moteur, pour ne citer que celles ci citées par Monsieur CHEMETOV) ont, comme toutes « les autres » droit à une vie sociale donc se déplacer ET pouvoir rendre visite aux leurs qui vivent par exemple dans des logements situés en étage, et ce pour une heure, un jour ou plusieurs (nécessitant que le logement en question puisse l’accueillir et lui permettre d’évoluer et de vivre comme tout un chacun ), comme le font toutes les personnes valides sans jamais se poser de question ?
    - toute personne valide ne l’est pas forcément « pour la vie » et peut, de façon momentanée, provisoire ou définitive, devenir « handicapée moteur » sans vouloir (et surtout DEVOIR) pour autant quitter le logement dans lequel elle vit, où elle a sa famille, ses habitudes, ses repères, son réseau social ?

    Alors, et si, plutôt que de prendre le pas des promoteurs, soutenir leur point de vue pour répondre comme ils le disent « à la demande » et faire rentrer tjs plus de choses (comme ils disent ) dans aussi peu de surface et ce, dans un budget d’acquéreur qu’ils disent connaitre, on soutenait nos regard, réflexion, point de vue d’architecte, ceux qui se placent du côté des usagers, des utilisateurs, de la ville et on inversait ce regard et autres opinions purement financières en faisant avancer ceux des promoteurs et autres financiers (9m2 pour une chambre, était ce déjà bien déjà « normal » mesuré du point de vue de celui qui l’habitait ?, cette loi d’accessibilité n’est elle pas simplement en train de remettre de l’espace là où DEJA il n’y en avait pas décemment suffisamment pour les personnes dites « valides »? ) ?

    Bref, et si nous architectes on (re)faisait de l’architecture (même avec un petit a) plutôt que de l’ »immobilier » ?

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  2. VINCENT Julien

    Architecte - Métropole - 33000
    J’ai récemment rencontré, dans plusieurs cadres différents, des personnes en fauteuil roulant, spécialistes à leurs niveaux respectifs de la question de l’accessibilité des logements. Leur point commun est qu’ils partagent l’idée de réduire à environ 25 % une production de logements vraiment accessibles, qui pourrait alors être vraiment bien prévus pour eux. Les autres logements seraient alors conçus avec davantage de confort pour les gens qui ne sont pas en fauteuil et qui peuvent, par ailleurs, être non-voyants ou sourds ou simplement très vieux.
    25 %, c’est déjà beaucoup plus que le pourcentage de places handicapées, qui semble pourtant suffire.

    Chère Françoise, je ne pense pas que Paul Chemetov ait dans l’idée de nuire à qui que ce soit avec son article. Il pense certainement, comme beaucoup d’architectes aujourd’hui, que les règles PMR sont trop contraignantes. Pas seulement contraignantes pour nous architectes, mais bien pour la majorité des habitants de nos projets.

    Au troisième étage, sans ascenseur, les locataires de mes logements vont être ravis d’avoir une entrée « grande comme une salle de jeu » alors que leurs enfants n’ont plus la place de jouer dans le séjour minuscule ou leur chambre très réduite…

    A l’occasion d’une jambe cassée, il est facile de vérifier que les dimensions imposées sont vraiment beaucoup plus larges que le nécessaire. Un cercle de 180cm, il faut avoir les jambes tendues pour le remplir, ou être tétraplégique. Et dans ce cas, difficile de faire à manger, non ? Celui que je connais n’y arrive pas, même avec la meilleure cuisine du monde.
    Alors, forcément, lorsque les architectes s’attirent des procès pour un cercle de seulement 175cm, dans seulement quelques logements de leur immeuble, certains peuvent perdre leur calme.

    Mais, pas de panique (ou de majuscules énervées ?), personne ici n’en veut à ceux en fauteuil. La plupart d’entre nous en comptent parmi leurs amis et connaissent leurs difficultés quotidiennes.
    Par contre, beaucoup n’accepteront pas que le système les force à oublier les autres utilisateurs, les 99,7% restants, dont une part importante de gens franchement pauvres, qui aimeraient bien un logement confortable avec quelques mètres carrés inutiles en moins.

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  3. GEORGES Patrick

    Architecte - Ville < 50.000 habitants - 06140
    Les personnes à mobilité réduite ont « comme toutes « les autres » droit à une vie sociale donc se déplacer »
    Ce constat n’est pas à remettre en cause.
    Par contre le « sans vouloir (et surtout DEVOIR) pour autant quitter le logement dans lequel elle vit, où elle a sa famille, ses habitudes, ses repères, son réseau social  » me parait moins pertinent.
    Que dire alors des personnes valides qui pour des raisons diverses (arrivée d’un enfant, changement de lieu de travail, etc…) sont obligées de changer de logement : vont-elles aussi exiger, pour les mêmes raisons, de se maintenir dans leur logement ?
    Il est toujours possible de trouver dans une aire géographique un logement mieux adapté à nos besoins ; en tout cas la notion de mixité sociale doit intégrer cet aspect.
    Quand à l’exiguité des logements elle n’est la conséquence que du coût élévé du m² car, si elle ne relevait que de la responsabilité des promoteurs (privés), le logement locatif social devrait y echapper.
    Or la situation y est parfois pire. Les contraintes d’accessibilité n’ont fait qu’augmenter les surfaces annexes (circulations, sanitaires) au détriment de la surface des pièces de vies, les espaces telles que caves celliers balcons quasiment disparus. Le coût foncier amène même les bailleurs sociaux à faire des logements avec des surfaces inférieures à celles pratiquées dans les années 80-90.

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  4. DELORME ERIC

    Architecte - Ville < 50.000 habitants - 83000
    Tout ce qu’on peut oser est en effet limité à notre seule « vision » de notre humanité d’avenir.
    Sens de l’Humain: toujours cet idéal humaniste chez ces français !
    La loi ALUR a commencé sur de bonnes intentions, mais s’est heurté d’une part à un manque criant d’accompagnement sur le terrain (la suppression du COS larguée comme une bombe dans « nos campagnes » !), d’autre part à son traitement trop idéologique des problèmes de pénurie du logement pour ne pas dire d’une nouvelle guerre d’habiter.
    La crise climato-économico-sociale qui rend les décisions schizophrènes, permettait-elle cependant de planifier sereinement cette loi ? Voir aussi la réforme scolaire, etc..
    Le serpent de l’évolution se mord la queue en France plus qu’ailleurs, car les idéaux issus des lumières que nous souhaitons à tout prix maintenir, s’usent face à une réalité de « Machine » européenne qui devient année après année, de moins en moins le Lieu possible d’une Réalisation hautement sociale qui libère les peuples mais de plus en plus une dictature des marchés, de la contrainte concurrentielle et de la nécessité.

    Pourtant à la volée et par l’exemple, OSER est possible si on garde une vision de confiance envers l’humain et qu’on l’accompagne dans sa mutation et non pas avec toujours plus de méfiance:
    - amnistie pour toutes les constructions bâties depuis plus de 30 ans. Car la rénovation énergétique passera aussi par un mansuétude sur la façon dont les projets ont été administrés et accordés par le passé..
    - abandon du COS un début prometteur mais pourquoi et comment ? Ainsi surtout que l’on croit possible de cadrer une autre façon de faire confiance au citoyen par une amnistie là encore des existants qui sont hors règles afin de permettre des aménagements ou surélévations sur leur emprise, par une définition de gabarits globaux par quartier, de types de liaisons interstitielles possibles (aller bcp plus loin que les garages sur 7m et autres plaisanteries froidement techniciennes).
    - Instaurer au fond une dérogation officielle et systématique à la règle quant des principes meilleurs et supérieurs d’harmonie avec l’environnement, l’activité, etc.; s’appliquent tels le gabarit, la liaison interstitielle, la mitoyenneté souhaitée et affinée entre voisins (la réinvention de la ville dans les quartiers pavillonnaires !), l’autonomie réellement écologique (étude d’impact à l’appui) BREF l’AVENIR, LE MOUVEMENT, l’ADAPTATION, LA FLUIDITE, LA LIBERTE BIEN COMPRISE les amis !

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