Logements, normes et uniforme… Uniformité

Lorsque l’on parle d’architecture, c’est sur un socle plusieurs fois séculaire que l’on prend appui mais lorsque l’on parle de logement, ce n’est que sur quelques dizaines d’années. Parler de « La normalisation du chez-soi » semble aller de soi, mais c’est d’emblée accepter de rentrer dans un paradoxe, celui d’une norme collective pour un « chez-soi » individuel.

Aujourd’hui, se pose encore et à nouveau la question du logement. Elle s’est posée de façon aigue à partir du développement industriel de nos sociétés. Depuis le familistère de Guise (bâtiments d’habitation construits pour les ouvriers et leurs familles) : un palais pour le peuple, presque tout a été dit. Un modèle a été défini et tout le monde devait le partager. Du palais pour le peuple, on est passé aux HBM, puis aux HLM, avec comme   modèle l’appartement bourgeois revisité. L’enjeu n’était donc plus un palais mais un appartement, qui va passer de 250 m2 à 60 m2. Dans celui-ci, on va tout mettre : le séjour, les chambres, la cuisine, la salle d’eau et même l’entrée sans laquelle l’intimité n’existerait pas. La séparation jour/nuit devient la norme, les pièces humides vont être regroupées, pour des raisons fonctionnelles et économiques, et d’un étage à l’autre la distribution reste immuable. Il faudra attendre l’évolution des normes acoustiques pour imaginer quelques variations de trames et de distribution.

Les normes culturelles ont ainsi été complètement « intégrées » : avoir un « chez soi » c’est avoir une grande entrée, un grand séjour, une grande cuisine fermée, de grandes chambres, une grande salle de bain avec baignoire… mais c’était sans compter avec l’économie de la construction et les hausses de loyers.

Depuis quelques années, il a donc fallu arbitrer : un grand séjour et de petites chambres ? Ou une grande cuisine et un petit séjour ? Le jeu est à somme nulle. Mais quelle est cette somme ? Que peut-on imaginer de faire, surtout lorsque qu’après les PMR, le BBC, le HQE… la réglementation, les normes se mettent de la partie. Et que dire de la diversité des situations, des orientations qui viennent compliquer le jeu.

Comment penser le logement ? Celui de la famille traditionnelle ou celui de la famille reconstituée, celui de la colocation des jeunes ou moins jeunes, celui des célibataires (de plus en plus nombreux dans les grandes villes)…?

Ma proposition consiste à envisager des distributions différentes pour un même espace. Ceci suppose des qualités particulières et une géométrie qui prenne en compte un linéaire de façade de différentes manières, continue, discontinue. La possibilité d’envisager des partitions différentes est plus attachée à la réalité des usages qu’à la surface. C’est une autre souplesse qui est attendue pour que dans un même espace on puisse avoir sept huit dix configurations différentes. Le coût sera celui d’une ou deux fenêtres supplémentaires, le bénéfice en termes de diversité, d’appropriation…de plaisir à se sentir chez soi sera inestimable.

Il faut se rendre à l’évidence, nos sociétés ne cessent d’évoluer mais les normes, les règlements, les habitudes, les cultures, l’économie rendent tout changement architectural difficile.

Pour ma part, j’ai toujours été animé par une passion, celle de concevoir une architecture accueillante et personnalisée. J’ai construit plusieurs milliers de logements, quartiers de ville, équipements publics, avec toujours un intérêt constant pour cinq thématiques essentielles :

- La diversité des contextes

- L’appropriation, être au plus près des attentes sociales

- Les champs métaphoriques qui mettent en rapport culture et nature

- La construction, avec toutes les techniques disponibles au service d’une véritable bioclimatique

- Le plaisir et l’émotion qui sont, pour moi, constitutifs de l’architecture.

Aujourd’hui lorsque l’on parle d’innovation dans le logement c’est surtout de développement durable et d’économies d’énergies dont il est question. Si le sujet est bien évidemment important, il ne doit pas cacher une autre dimension primordiale, la dimension architecturale. Ce n’est pas parce que les façades se parent de couleurs vives au gré des modes ou que quelques vêtures viennent emballer ces bâtiments, que la réflexion sur le logement avance et que les logements sociaux ne ressemblent plus à des logements sociaux. En fait, les logements vont rester des « machines à habiter » tant que la répétition sera la règle. Pourtant dans bien des domaines, comme l’industrie automobile, la customisation a fait un bond en avant, il faut individualiser, personnaliser. L’architecture n’en est toujours pas là. La préoccupation majeure de « développement durable » pour louable qu’elle soit renforce cette volonté d’uniformisation et exclue de rendre les logements appropriables. Les contraintes, les règlements, les normes ont fixé un standard difficile à dépasser et l’espace de conception reste étroit. La « normalisation » à l’œuvre empêche la diversification de l’offre alors que l’on pourrait faire varier l’organisation d’un appartement en fonction de l’évolution des attentes, proposer un réel « chez soi », un « chez soi » appropriable.

Pour moi, le vivre « chez soi » prend encore et toujours la forme de la diversité, celle de l’appropriation, d’une technique fiable et du plaisir d’un vivre ensemble retrouvé. Moins la répétition, le tout pareil, sera perceptible et prégnante et plus le « chez soi » sera appréciable, appréhendable. Mais si on continue de concevoir les logements comme des « conteneurs », c’est la mort annoncée, non seulement de l’architecture mais du plaisir d’être « chez soi ».

Dans chaque projet, j’imagine ce qui se passe à l’intérieur du logement et quelles propositions faire. Il ne s’agit pas de rêver d’une proposition qui renverrait à une image impossible à concrétiser mais de faire bouger les habitudes, les certitudes qui justifient l’immobilisme.

Concevoir l’habitat c’est se poser une double question, celle de l’économie et celle de la densité. Mon hypothèse est que la construction de logements devra se faire en immeubles collectifs de 5 à 6 étages car le logement collectif permet plus de diversité, plus de mixité, plus de développement durable. En outre, ce style de logement peut également intégrer des maisons individuelles avec jardin alors que le contraire est plus difficile. Le collectif permet également d’escompter un coefficient d’occupation du sol de 2,6 avec une densité perçue parfaitement aérée.

Dans tous les cas, la diversité doit devenir une réponse à une attente plurielle et large. La société n’est pas homogène et l’architecture doit apprendre à produire des différences, de la multiplicité, de la richesse. Rendre le logement appropriable devient une nécessité, le rendre transformable, aménageable de différentes façons, va devenir un impératif.

De façon patrimoniale, si l’on veut parler de « durable », d’un intérêt marqué pour la ville, pour la nature, porter une attention  aux économies d’énergies, c’est à une architecture ouverte qu’il faut prêter attention. Une architecture dont la double dimension est urbaine et humaine, qui prend position par rapport à un contexte et utilise toutes les techniques disponibles, en tenant compte de l’évolution des modes de vie.

C’est ce que je propose en prenant pour exemple un 65 m2 transformable de multiples manières, selon les orientations, les besoins, les demandes…

La normalisation du « chez soi » passe donc par :

- Une grande variété de réponses dans l’organisation des appartements pour déjouer la répétition.

- L’appropriation comme règle. Chacun doit pouvoir choisir la distribution de son appartement (différents niveaux, utilisation de jardins, balcons, terrasses…). Ceci suppose une réflexion et une réforme du permis de construire, du règlement d’urbanisme mais surtout de nos mentalités, apprendre à penser la diversité pour que l’appropriation soit possible.

- Un nouveau rapport à la nature et à la ville.

- Des logements techniquement confortables, durables, thermiquement et acoustiquement, des choix techniques ouverts : façades porteuses, poteaux poutres, béton, bois, acier… L’industrie a son rôle à jouer dans l’innovation de nouveaux composants.

L’architecture doit renoncer à donner une réponse unique, un idéal identique pour tous. Elle doit sortir de la production industrielle modulaire et répétitive pour que le plaisir du vivre ensemble soit l’évidence et que les immeubles regorgent de vie. Un vrai espace à vivre en se projetant dans l’avenir, sans nostalgie de la cuisine, salle commune de la ferme ou de la baignoire de Marie Antoinette. Le logement n’est pas une norme, pas un « uniforme ».

Question de démarche.

Concevoir des logements de l’intérieur vers l’extérieur

Rendre compatibles les dimensions, économiques et techniques, l’usage, et l’urbanité, d’un ensemble de logements pourrait être l’enjeu architectural et la vision du logement social aujourd’hui.
Le loyer, la localisation, l’évolutivité.
Nous voulons commencer par ce qui est le cœur du sujet, pouvoir choisir, pouvoir s’approprier un logement, s’y sentir bien chez soi. Cette dimension est essentielle ; pour que la cuisine puisse être ouverte ou fermée, le séjour grand et les chambres petites, ou l’inverse,… ou rechercher le meilleur compromis. Ces choix supposent que dans le temps le logement puisse suivre l’évolution des usages, c’est pour nous une qualité fondamentale pour le propriétaire comme pour le locataire : l’évolutivité et l’adaptabilité d’un logement. Une qualité liée à deux autres dimensions, l’une technique, puisqu’il s’agit d’ évolutivité il faut qu’elle se fasse au moindre coût, l’autre urbaine car, la situation, l’orientation définiront les types de façades, les ouvertures, les balcons les terrasses ou loggias. Qu’elle soit HQE ou BBC, l’attitude bioclimatique sera la règle celle qui fonde une démarche de développement durable. Nous en déduisons une réflexion. Nous aborderons le logement à partir de ce qui est essentiel, son espace, sa distribution, dans un cadre économique et réglementaire, de l’intérieur vers l’extérieur de l’utilisateur vers la ville.

 De l’intérieur vers l’extérieur

L’architecture du logement social est une équation à trois échelles : l’une est technique et économique elle est attentive aux économies d’énergie ; l’autre est humaine et culturelle, elle est pragmatique, l’évolutivité et l’adaptabilité aux usages dans le temps, est une règle d’or ; la troisième échelle, est celle du rapport à la ville qui demande dans chaque situation une attention spécifique, orientation, matériaux, relation entre l’intérieur et l’extérieur, un nouveau rapport à la nature et la culture est un enjeu architectural, il sera un axe majeur de réflexion.

Démarche avant image, surtout ne pas stigmatiser le logement est par excellence le lieu de l’intégration sociale.

Alain SARFATI, Architecte et urbaniste

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3 commentaires au sujet de « Logements, normes et uniforme… Uniformité »

  1. MAUFRAS Didier

    Architecte - Métropole - 75015
    Tout à fait d’accord avec le constat.
    mais je trouve paradoxal de défendre l’appropriation du logement par l’usager (pour qu’il y ait appropriation faut il déjà qu’il y ait possession et non pas location) et en même temps prôner « une grande variété de réponses dans l’organisation des appartements pour déjouer la répétition » .
    C’est à mes yeux tomber dans la douce inclination de l’architecte démiurge.
    Je crois aujourd’hui à la banalité de la distribution proposée par les appartements (Restauration pour les moins riches, Haussmannien pour les moins pauvres) du XIX°siècle: Pièces égales en superficie (12 m² pour l’un, 20m² pour le second) distribuées de façon double, en façade et par le couloir. Ce modèle permet bien plus de flexibilité dans l’aménagement et l’usage que les diverses tentatives du XX° siècle qui ont toutes eu pour principe de figer des comportements.

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  2. LIQUARD AGNES

    Architecte - Ville > 50.000 habitants - 33000
    D’accord avec vous Monsieur Sarfati, surtout quant aux conséquences de la normalisation du logement , de ce « produit » comme disent les commerciaux ! mais il faudrait pousser plus loin votre démonstration et chercher les impacts du logement sur le mental …….. ( voir cet engouement pour dormir dans des cabanes perchées, des yourtes ou des tipis !!) car qu’est ce qui fait « l’appropriation d’un logement par son habitant » ? c’est bien son potentiel de transformation inérant à sa distribution, sa qualité spatiale …… bref à son architecture et cela, pour répondre, pallier à tous évènements de la vie de chacun , qui peuvent arriver et ce, temporairement : y travailler si besoin, y faire des fêtes si envie, y loger d’autres personnes momentanément, précairement, y guérir si fracture, y viellir si possible !
    Et pour cela, pouvoir le modifier SPATIALEMENT (Remarque : c’est ce qui se passait au 18 ème quand les pièces n’avaient pas de spécialisation, ni d’affectation propre, les meubles étaient « mobiles » comme leur nom l’indique et au 19ème, la double circulation permettait effectivement de condammer les passages en façade et de ce fait, de densifier le logement)
    Aujourd’hui, avec les nouveaux matériaux, on pourrait être en mesure d’avoir la technicité de retrouver cette malléabilité de l’espace au sein du logement ; la modélisation avait déjà été tentée mais elle a été très vite dévoyée dans un but précisément de la standardisation, de l’uniformisation, de rentabilité.
    Il s’agirait maintenant de déterminer le volume harmonieux de la cellule de base, puis d’y permettre des cloisons sur rails……. sur ses quatre faces intérieures……. mais également sur les 4 autres extérieures pour les espaces extérieurs privatifs, ou collectifs, ou pour le jumelage
    Mais pour cela, les premiers à convaincre sont les bailleurs publics ( qui y trouveraient multiples avantages, entre nous soit dit), les dissuader d’imposer aux archis des plans types, des programmes normatifs des années « 50″, une calamité pour le logement et …….pour l’architecture en France
    Pourtant dans les années « 50″, il y a eu des tentatives pas mal comme celle d’Auzelle à la Cité du Petit Clamart …….des tous petits logements avec la double circulation !

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  3. Gainche Mathieu

    Architecte - Village - 71390
    Bof bof …
    Je réagis ici à certaines affirmations de M. Sarfati :
    « La préoccupation majeure de « développement durable » pour louable qu’elle soit renforce cette volonté d’uniformisation et exclue de rendre les logements appropriables. Les contraintes, les règlements, les normes ont fixé un standard difficile à dépasser et l’espace de conception reste étroit » :
    cela ressemble fort à une vision restrictive d’un développement durable (DD) mal vécu. Des contraintes, il y en aura toujours, mais le DD n’en fait pas partie, c’est une somme d’intentions floues qu’il faut savoir s’approprier, car légitimes et porteuses de sens.

    « Mais si on continue de concevoir les logements comme des « conteneurs », c’est la mort annoncée, non seulement de l’architecture mais du plaisir d’être « chez soi »  » :
    Ce catastrophisme caricatural ne me paraît ni crédible, ni utile. Je crois que la diversité de l’offre sera assurée tant que les intervenants et les contextes seront multiples, et qu’on évitera par exemple de confier la conception de milliers de logements, et quartiers entiers, toujours aux mêmes équipes…

    « Qu’elle soit HQE ou BBC, l’attitude bioclimatique sera la règle (…) » :
    L’auteur participe ici au manque de précision de trop d’architectes à propos de ces approches, pourtant bien distinctes : le HQE, c’est la défense des 14 cibles ou leviers d’action pouvant permettre aux professionnels d’intervenir pour protéger l’environnement, donc rien à voir avec norme ou réglementation. Le BBC, concept indéfini, dans son sens le plus commun, c’est l’intégration de la dernière RT dans les règles de la construction.

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