Réconcilier offre et demande : Le logement ne devrait pas être un standard national. C’est pourtant une dérive constatée dans le logement neuf suite à l’application sur tout le territoire des mêmes normes (isolation thermique et accessibilité notamment), souvent appliquées sur des plans type encore issus du 20ième siècle. Cela a pour effet d’augmenter les surfaces de service au détriment des surfaces de vie sans apporter, en apparence, un grand supplément de confort d’usages au quotidien ou sur un plus long terme. Dans une période contrainte financièrement, cette banalisation de l’offre ne crée pas l’envie de l’usager.
Le décalage entre la demande des habitants et l’offre des constructeurs et des financeurs fait que l’on observe des demandes non satisfaites d’un côté et des logements vides de l’autre.
Le pavillon semble être un modèle qui résiste, mais sa pertinence est remise en question par la lutte contre l’étalement urbain. Les nouveaux terrains risquent de manquer et le modèle « idéal » d’être plus difficile à réaliser.
Ne pourrait-on alors se poser quelques questions de fond sur les attentes des habitants ? Dans le domaine de la demande urbaine contemporaine d’habitat, le sociologue Yves Chalas a mené de nombreuses études. Il nous dit : « Si l’urbanisme veut à la fois lutter contre l’étalement urbain, favoriser le développement de la ville durable et attirer à nouveau les habitants – notamment les classes moyennes – dans les centres des villes, il lui faudra construire un habitat urbain qui donne une priorité aux thématiques clés du Garage, du Placard, de la Terrasse, de l’Evolutivité et de l’Environnement. »*. Ces points parlent d’importance pour les usagers de la mobilité et de la facilité de déplacement, de mode de vie lié à l’acquisition de nombreux objets « à ranger », d’espace extérieur privatif de nature, de potentiel de transformation et d’emploi de technologies écologiques. Cela se combine avec des envies de villes contemporaines avec une place prépondérante de la nature*.
On comprend le succès du pavillon qui semble répondre à toutes ces attentes ; cependant, on peut regarder plus finement le sujet. On l’a vu, le critère du respect de l’environnement peut commencer à mettre à mal ce modèle par sa nécessité d’étalement urbain considéré comme contraire au respect de l’environnement. En effet, urbanistes, économistes et écologistes ont montré qu’il pouvait lui être néfaste : emprise sur des terres agricoles, allongement des trajets domicile travail ou domicile activités en général, nécessité de plusieurs véhicules par familles, nécessité de prolongements des réseaux et demande de constructions d’équipements pour un nombre insuffisant d’habitants…
Si la conscience environnementale globale est éveillée et qu’en même temps des offres alternatives au pavillon qui répondraient aux 4 autres demandes clés, sont proposées, le rapprochement entre offre et demande pourrait être à nouveau possible.
Alors tentons de satisfaire les demandes sociales dans des environnements bâtis existants. Créons ou développons pour cela des programmes de recherche (sur l’habitat intermédiaire et les transformations de l’existant par exemple), des opérations expérimentales, des aides spécifiques et des dérogations de normes quand un projet de qualité le nécessite.
Repenser différemment le fonctionnel.
Une des pistes pour répondre aux demandes sociales et pouvoir en financer les réalisations serait de penser usage plutôt que fonction dans le logement.
De la même manière que le zonage en urbanisme a été remis en question (une zone = une fonction), il faudrait considérer une mixité des usages dans le logement plutôt qu’une répartition des fonctions en surfaces dédiées. Le précepte de fonctionnalité issu du mouvement moderne n’est plus efficient. Il faut le faire évoluer en valeur d’usage dans le temps et dans l’espace.
On peut par exemple :
- Manger ailleurs que dans une « salle à manger » et, inversement, selon les heures de la journée, on peut ajouter des usages de bureau à une table dite « à manger ».
- Préparer des repas sur une terrasse grâce au BBQ, et pas seulement dans la cuisine. Cela dédouble la capacité de cuisiner avec une nouvelle répartition entre les membres de la famille.
- Combiner la préparation des repas avec la consultation d’Internet (pratique pour les recettes de cuisine mais aussi pour converser avec ses proches en « Skype » ou traiter ses mails) et même s’occuper du linge pendant que l’on surveille les plats sur le feu.
- Prévoir des espaces sans fonction mais appropriables, par les jeunes notamment, en dehors des usages habituels des adultes pour qu’ils puissent satisfaire leurs envies (un palier un peu grand peut suffire pour en faire un coin jeu vidéo improvisé par exemple).
- Imaginer des volumes « à tout faire » sans finitions qui permettront des usages divers et une appropriation en fonction du temps de la vie des occupants.
- Partager avec ses voisins des espaces à usages variables.
Avec cette approche des espaces non par des fonctions fixes mais par les usages multiples et évolutifs, on peut résoudre un manque de moyens financiers à un temps T par une évolution possibles aux temps T+1, T+2…
Sensibiliser, former, participer
Pour faire se rapprocher l’offre et la demande il semble essentiel aussi de travailler à la sensibilisation des habitants, « maîtres d’usage », aux différentes formes d’habiter et pas seulement faire le raccourci du choix d’une forme (le pavillon par exemple) sans s’être posé la question des usages dans le temps et dans l’espace. Les « archi conversations » du CAUE du Nord sont un des outils consultables sur Internet pour notamment se familiariser avec cette attitude de réfléchir aux usages avant le choix d’une forme**.
En même temps, la formation des maîtres d’ouvrage à la qualité architecturale et celle des maîtres d’œuvre à l’écoute des besoins est nécessaire. Il faut même permettre la rencontre de ces trois acteurs dans des processus nouveaux de formation ou de projet.
A ce titre, la formation « Comprendre l’architecture » à destination des maîtres d’ouvrage (notamment bailleurs sociaux), bureaux d’études, entreprises est intéressante. Elle est à l’initiative de l’association AMO Nord Pas de Calais et organisée avec le CAUE du Nord. Elle fait intervenir plusieurs architectes en situation de conférence mais aussi de lectures de bâtiments, de conversations, de visites de réalisations, de workshop collectif. Elle aborde les sujets de l’architecture comme art de la relation, la dimension incontournable de l’urbanisme, la question spécifique du logement et celle de la participation des habitants, et aussi la responsabilité d’être maître d’ouvrage pour susciter la qualité architecturale. Trois sessions ont été réalisées pour une quarantaine de personnes formées qui se retrouvent, depuis, lors de manifestations de diffusion de la culture architecturale, organisées par AMO, le CAUE du Nord ou d’autres acteurs en Région. La formation continue des professionnels permet ainsi de se co-former, pour cesser de se conformer.
Les expériences d’habitat participatif sont également fort intéressantes à suivre. La ville de Lille par exemple a lancé deux appels à candidatures de groupes d’habitants pour construire sur des terrains en zone urbaine dense (en dents creuses, en zones sensibles…). Chaque groupe retenu est accompagné par la ville et par le CAUE du Nord tout au long de la démarche de définition des usages, du montage financier, du choix de l’Assistant Maître d’Ouvrage, du choix du Maître d’œuvre… Les premières réalisations seront habitées d’ici deux ans.
La formation initiale des architectes pourrait faire une place plus grande au fait de se « frotter à l’usage réel ». Cette expression est utilisée par Toyô Itô dans son livre « l’architecture du jour d’après »***. Suite au tsunami au Japon en mars 2011, il vante l’intérêt, pour lui-même et ses étudiants, de l’expérience de constructions de « Maisons pour tous » avec les habitants. Pour lui, « construire et habiter en même temps » est une expérience refondatrice après sa période de certitude du bien fondé des principes du mouvement moderne. Il remet en cause l’œuvre architecturale comme concept parfait mais créé par l’architecte quasi seul en son agence, au bénéfice d’un travail d’expérimentation collective et évolutive sur le terrain avec les usagers. Ceci n’est pas sans rappeler l’expérience bien plus ancienne de l’architecte égyptien Hassan Fathy décrite dans son livre « Construire avec le peuple »****.
Conclusion et perspectives
Alors me vient un questionnement : que faudrait-il garder de la modernité ? Sans doute pas la fonctionnalité simpliste, pas la division des tâches dans l’acte de construire, pas les œuvres d’ego d’architectes. Sans doute faudrait-il garder les principes de plans libres et de façades libres, la prise en compte de la lumière et le travail sur l’espace. Mais il faudrait surtout ajouter du « Faire ensemble », adapté aux différentes phases du projet, pour que l’envie et l’appropriation soient effectives. Quoi d’autre encore ? Je mets le sujet en débat.
Une des propositions à la suite des « e-universités d’été de l’architecture » pourrait être de lancer l’idée d’un Grenelle du logement, cela donnerait de la force à cette véritable cause nationale.
Béatrice Auxent, architecte urbaniste au CAUE du Nord, Présidente du CROA Nord Pas de Calais
*LA DEMANDE URBAINE CONTEMPORAINE D’HABITAT
Et LA VILLE NATURE CONTEMPORAINE
http://aueversailles20122013.wordpress.com/ onglet Intervention Yves Chalas
Yves CHALAS Professeur à l’Institut d’Urbanisme de Grenoble
**http://www.s-pass.org/index.php/archiconversations
***Essai illustré / coll. Réflexions faites, Mars 2014
****La Bibliothèque arabe Ed. Jérôme Martineau, 1970
Architecte - Village - 71390
A-T-ON vraiment besoin de « programmes de recherche » pour re-découvrir des pistes de densification que l’on connaît déjà (parmi d’autres) :
- les maisons en bande en R+2 minimum
- l’obligation de construire sur au moins une limite séparative latérale
- la cession des « fonds de parcelle » dans les lotissements existants en « tablette de chocolat »
- la réhabilitation en centres anciens de villes et villages, des masses de logements ANCIENS / INSALUBRES / OBSOLETES / NON CONFORMES qui ne peuvent plus répondre aux demandes actuelles sans réhabilitation lourde (ce qui suppose une vraie politique de préemption et de remembrement, pour recomposer les surfaces habitables et revoir les accès)
Quant à répondre aux questions liées à la fonction, au manque de flexibilité et d’évolutivité des locaux, pourquoi ne pas s’intéresser au principe de la surface brute (close, isolée, réseaux en attente astucieusement implantés selon simulations) que le client-utilisateur-futur habitant ou bailleur pourra achever selon ses besoins, ses usages et ses moyens ?
Pour les M° d’ouvrages, ça donne des opérations plus light, plus rapides, aux surfaces moins exiguës. Pour nous, ça permet de se consacrer à l’essentiel : la durabilité du bâti, dans son implantation, ses aspects formels, sa qualité de construction, et l’optimisation des parties communes, des cours et jardins, l’intégration des annexes, locaux commerciaux ou programmes participatifs, etc…
Nous connaissons des réponses, reste à savoir rencontrer et convaincre des M° d’ouvrages.