L’habitat est par essence le lieu des pratiques architecturales

- par Jean-Yves QUAY architecte - Enseignant à l'École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon. habitat : mutations et innovations ?

La problématique de l’habitat (« le mode d’organisation du peuplement par l’homme du milieu où il vit »(1)) est plus large que celle du logement, car elle dépasse la norme puisqu’elle associe nécessairement un site et un programme ; elle appelle une complexité de réflexions et propose des lieux qui vont au-delà des fonctions usuelles de (se)loger, résider, demeurer. L’habitat inscrit résolument cet usage particulier de l’espace dans une problématique plus large, liée au site, au rapport ville/nature, et fait passer ainsi de la praticabilité du logement, niveau zéro du projet architectural, à la prise en charge des relations existant entre configurations physiques et rituels profanes, entre les lieux de l’intimité et les lieux collectifs, entre l’espace privé et l’espace public. Elle inclut le parcours tout autant que la gestion des ressources, elle est une construction collective qui matérialise des enjeux sociaux et qui exprime localement le projet global que toute société a de l’épanouissement individuel et du dessein collectif.

L’habitat est donc, par ses usages et son économie, une réalité sociale incontournable.

Objet même de l’architecture quotidienne, objet construit le plus présent dans notre paysage, l’habitat est aussi le quotidien de l’architecte. Par son agglomération, il fait la ville crée et met en valeur l’espace public. Par sa juxtaposition, il consomme les territoires et dématérialise l’espace jusqu’à en nier le rôle vital.

On peut donc considérer que ce qui constitue un projet d’habitat est ce qui met en relation une typologie architecturale avec un lieu (un programme, au sens large du terme, et une pensée formelle). Ces projets qui font la promotion de l’habitat dépassent le concept historique du logement, des « cellules » répétées, normalisées, statistiques, fruit de la rencontre de l’économie de marché (spéculation foncière et ségrégations spatiales) avec l’encadrement réglementaire, pour développer une réflexion sur les espaces de la vie individuelle, collective et sur les rituels sociaux. Il n’existe pas de logements types, de « cages » d’escalier, de « cellules », de bas, moyen ou haut de gamme mais une phase (un intervalle, un moment, un « morceau de vie ») dans l’utilisation (la consommation ?…) de la ville.

L’architecture devient alors une façon de produire des configurations physiques favorables à des pratiques sociales reconnues mais aussi à l’éclosion de nouvelles pratiques. Et dans cette hypothèse, l’architecte se doit d’être en retrait par rapport à son projet, lui-même en retrait par rapport à la forme urbaine. Il n’est plus question d’un geste égocentrique, mais bien de participer à cette oeuvre collective qu’est la ville (autrefois la ville et son voisinage rural, aujourd’hui la ville monde)! Le projet cherche alors à exprimer une construction généreuse de la ville à travers la question, toujours actualisable, de la densité bâtie, du partage et de la gestion de l’espace, tout en réfléchissant au rôle des espaces de représentation et de leur dimension cachée (2).

« Les villes heureuses ont de l’architecture » (3).

Jean-Yves QUAY architecte – urbaniste – Enseignant à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon

Notes
1 Sous la direction d’Alain REY, Dictionnaire historique de la langue française – LE ROBERT – 2006
2 HALL E.T., La dimension cachée – Paris Seuil – 1971
3 Le CORBUSIER, Vers une architecture – Paris Arthaud – 1977

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