L’(apparente) absence d’une vision prospective d’ensemble pour mener la réforme territoriale en cours paraît invraisemblable. Comment comprendre, en effet, qu’une telle accumulation de projets de changements aux conséquences notables (suppressions, fusions, créations, …) n’ait pas fait l’objet d’un plan concerté, fruit d’une vision politique affirmée ?
Soit cette incurie est involontaire et, alors, c’est une raison supplémentaire de s’attrister de la défaillance des Pouvoirs Publics qui n’agissent plus guère qu’au coup par coup, en fonction d’un agenda médiatique et sous la pression de l’opinion. Soit elle résulte d’un plan concerté et c’est plus grave encore parce qu’il est mené de telle manière qu’il laisse la porte ouverte à toutes les combines et les pressions. Une stratégie établie dont les tenants et aboutissants seraient exposés d’emblée éviterait que ne court une impression de vague, de flou et d’improvisation. À force de vouloir contenter tout le monde – c’est bien connu – on ne contente personne et la situation peut devenir explosive alors que cette nécessaire réforme territoriale devrait avant tout reposer sur des principes indiscutables obtenant l’accord des esprits éclairés et permettant de balayer d’un revers de manche toutes les demandes liées à des intérêts particuliers.
Penser l’enjeu métropolitain
Certes, le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale a tenté –Le Monde du 5 août 2014 – d’exposer son propre discours de la méthode. Il considère sa réforme comme « une urgence pour faire des économies » et le professeur Guy Burgel en a, dans la foulée, salué– Le Monde du 8 août 2014 – les trois grands objectifs : « proximité, compétitivité et clarté ». On voudrait applaudir. Seulement voilà, depuis que la réforme territoriale est devenue une priorité, la méthode adoptée pour dessiner le nouveau visage des régions n’est pas à la hauteur des enjeux. Peut-on d’ailleurs parler de méthode quand il s’agit surtout de petits arrangements avec l’histoire, la géographie et les baronnies en place ?
Et l’architecture dans tout ça ? Elle est concernée en première ligne parce que, par-delà le contour et les attributions des nouvelles régions, c’est la ville d’aujourd’hui et de demain qu’il conviendrait de penser. Or, jusqu’à présent l’enjeu urbain n’a que très fragmentairement été pris en compte. Quant à l’enjeu métropolitain, il n’a pas été pensé. Pourtant, le scénario à bâtir pouvait reposer sur trois prémisses : 1- La France a besoin de diminuer le nombre de ses régions ; mais 2- elle a aussi besoin de métropoles structurées, capables de jouer un rôle de premier plan dans la mondialisation ; et 3- il convient de maintenir, voire de renforcer, les services de proximité aux populations où qu’elles habitent.
Partant, il serait apparu déraisonnable de déterminer a priori– comme ce fut hélas le cas –le résultat à atteindre, en fixant des postulats tels que : 12 ou 14 régions ; suppression des départements ; etc. Un raisonnement normal aurait pu être adopté, reposant sur une bonne mise en corrélation des prémisses. Ce qui se traduirait par : à chaque région il faut une métropole d’envergure ; la montée en puissance des intercommunalités se traduira par la suppression de certains départements là où, effectivement, elles sont en capacité de s’y substituer et par leur maintien là où elles n’ont pas la puissance suffisante. Dès lors, les travaux pratiques auraient dû consister à analyser la carte du pays en tenant seulement compte des réalités, indépendamment de toute question de personne.
Mais, gageons qu’un retour à plus de clairvoyance reste possible. En se tenant aux principes de la méthode simple énoncée plus haut, il est encore temps de construire un nouveau découpage cohérent et riche de sens. L’imposer sera alors plus facile puisque, justement, il sera cohérent et riche de sens. Dans ce qui suit, je donne quelques indications qui ne sont pas à prendre strictement à la lettre mais servent à illustrer mon propos et à faire entendre ce qui pourrait être le fil conducteur de cette méthode qui fait aujourd’hui cruellement défaut. Je ne me prononce pas sur le résultat final, me limitant à énoncer la direction que devrait emprunter ceux qui ont la charge de cette réforme.
Ne pas créer des régions sans tête de pont
Quelles sont les métropoles dont l’envergure est suffisante pour constituer indiscutablement une capitale régionale ? Posons qu’il y en a sept : Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille, Toulouse, Nantes et Paris. C’est un choix. Ce n’est peut-être pas le bon et il convient d’en discuter. Au final quelqu’un doit assumer un choix définitif, avec, éventuellement, une ou deux métropoles supplémentaires mais guère plus. Les objections seront forcément nombreuses et il y aura des pressions pour éviter que ne manquent à l’appel Nice, Montpellier, Bordeaux, voire d’autres grandes villes moyennes. Mais, en procédant ainsi, sera évité ce qui est peut-être en train de se mettre en place à partir du projet initial du président de la République : des régions sans tête de pont. Car, par exemple, ni Amiens, ni Reims n’ont une dimension suffisante pour devenir capitale d’une région regroupant l’actuelle Picardie avec Champagne-Ardenne. De même quelle serait la métropole des Normandie réunies : Caen, Le Havre ou Rouen ? Aucune n’a vraiment la bonne dimension.
On voit par-là qu’il faut de grandes régions avec des métropoles solides. Autour des sept métropoles que j’ai citées plus haut, il est possible de constituer sept régions d’envergure. À ce stade, la paresse intellectuelle consistant à n’agglomérer que des entités existantes pour les réduire à 14 n’est pas acceptable. La Somme est bien plus en phase avec le Nord-Pas-de-Calais qu’elle ne l’est avec la Champagne-Ardenne. L’Oise est tout contre l’Île-de-France et a vocation à s’y agglomérer. Etc. Le redécoupage fin qui s’impose ne peut s’opérer qu’à partir des départements.
Puisque géométriquement l’hexagone est un polygone à six sommets et côtés, il est simple de le diviser en cinq ou six régions périphériques autour d’une ou deux régions plus centrales, pour former une division du territoire par sept. Le mieux étant de préserver pour chacune un accès maritime. Peu ou prou, ces sept régions pourrait correspondre avec des ajustements aux circonscriptions électorales définies en métropole par la loi électorale de 2003 pour l’élection au Parlement européen des députés français, à savoir : le Nord-Ouest, l’Ouest, l’Est, le Sud-Ouest, le Sud-Est, le Massif central – Centre et l’Île-de-France.
Pourquoi aller chercher très loin ce qui est déjà défini ? Même les dénominations ont le mérite d’être simples et de parler à chacun. Le problème ne serait pas résolu pour autant parce que, si cela va de soi d’associer Lille et le Grand Nord, Nantes et le Grand Ouest, Strasbourg et le Grand Est, Toulouse et le Grand Sud-Ouest, le Grand Paris et la Grande Île-de-France, il reste plus difficile de se déterminer pour le Grand Centre et le Grand Sud-Est, Lyon et Marseille… Encore une fois, l’idée n’est pas ici de donner une solution clés-en-main mais un principe général à travailler et travailler encore, sans apriori.
Se focaliser sur les vraies problématiques de l’aménagement
Une fois les sept entités régionales constituées, il resterait à définir leurs compétences et à organiser leur gouvernement par sept parlements régionaux. Le territoire de ces Grandes Régions serait alors composé de métropoles, de fortes intercommunalités et parfois de départements (principalement ruraux). Les conseils municipaux ne disparaîtraient pas pour autant car il est important que subsistent des échelons de grande proximité. Les questions sociales seraient prises en charge par les communes et les intercommunalités, ou les départements pour ceux qui seraient maintenus, tandis que les décisions structurantes pour l’avenir du pays se prendraient au nouveau niveau régional élargi. Chaque échelon serait gouverné par des assemblées élues démocratiquement.
Telle qu’elle se profile, la copie régionale est à revoir en profondeur. La réforme aujourd’hui engagée se traduira peut-être par quelques économies. Mais elle devrait être sans conséquence notable sur les vraies problématiques de l’aménagement du territoire que sont (entres autres) : un urbanisme intercommunal et écologique, la lutte contre l’étalement urbain, la prise en compte à la bonne échelle des questions de mobilité, la recherche d’un urbanisme équilibré et adapté aux nouvelles technologies comme à la mondialisation, l’engagement pour une rénovation urbaine adaptée aux nouveaux modes de vie, le traitement des quartiers dégradés, insalubres ou ghettoïsés, la requalification des entrées de ville, les réponses à trouver face à la désertification de certaines campagnes, etc.
Créer la nouvelle organisation territoriale d’un grand pays comme la France n’est pas une petite réforme pour amuser la galerie. Il en va de l’intérêt du pays pour des décennies. Espérons que, dans leur grande sagesse, les responsables d’aujourd’hui sauront s’atteler à une vraie réforme politique pour le bien commun, c’est-à-dire ne cherchant pas à satisfaire telle ou telle baronnie ou à préserver des intérêts électoraux. Espérons qu’ils sauront à temps se ressaisir pour bâtir un cadre clair autour des quelques métropoles dont nous avons besoin dans la compétition mondiale. Espérons qu’ils n’oublieront pas la ville et le fait urbain. Espérons, espérons,… mais il est permis de penser que ces espoirs resteront encore vains cette fois-ci.
Frédéric Lenne, journaliste
Architecte - Ville > 50.000 habitants - 30900
LENNE PRESIDENT !
Leçon de bon sens qui a le mérite d’être lisible.
Merci
Plus facile de se fondre identitairement dans ces grandes entités géographiques que d’avoir le sentiment de se faire manger par le voisin. Ceux dont la capitale régionale disparait ayant plus de mal à le vivre que ceux dont la capitale se renforce.
Chacun sait s’il est de l’Est ou de l’Ouest, du Nord ou du Sud.
Le dernier écueil serait, sera de toutes façons, la position des frontières.
Le sentiment d’appartenance a tendance à suivre le fil de l’eau.
On suit la vallée pour descendre faire ses courses à la grande ville.
Les lignes de partage des eaux seraient ainsi les justes frontières.
Ce qui demanderait à découper certains département, notamment dans le massif central.
Il y a des départements où à 20 kms près, on va à Toulouse, à Montpellier, à Saint Etienne ou à Clermont Ferrand pour « descendre » en ville. Mais, en général, ceux là on l’habitude et ne sont pas si mécontents d’être « au bout du monde ». Eux n’ont pas de problème identitaire, quoiqu’il se passe, ils sont indéracinables, leur terre parle pour eux.