Les CAUE constituent un réseau de professionnels principalement issus des disciplines croisées de l’architecture, du paysage et de l’urbanisme[1] . La particularité des CAUE est d’intégrer une dimension culturelle et pédagogique dans leurs missions, qu’il s’agisse du conseil aux collectivités dans leur démarche de projet oude l’assistance architecturale, de la formation des professionnels ou des élus, de la sensibilisation de publics divers dont les scolaires. Dans leur exercice du conseil aux collectivités locales,ils se confrontent à une très grande diversité d’échelles et de contextes, de l’urbain constitué au petit village, en passant par les bourgs structurants, les périphéries étendues des villes-centres.
L’histoire des CAUE[2] se construit simultanément à l’émergence d’un ensemble de phénomènes tels que le développement du marché de la maison individuelle – en milieu diffus et en lotissement –favorisé, entre autre, par l’essor des infrastructures et du marché de l’automobile, des phénomènes qui se conjuguent et qui conduisent à celui de l’étalement urbain généralisé, accentué par la cherté du foncier incitant à la recherche d’un habitat accessible toujours plus loin. Dans un territoire urbain dilaté, fragmenté, les CAUE sont interpellés par des élus en prise avec des pressions et des réalités souvent contradictoires. Ils développent progressivement des méthodes et des outils d’aide à la décision adaptés à la diversité des situations rencontrées et, surtout,à la disparité des ingénieries présentes sur ces territoires.
Amenés dès leur création à promouvoir la qualité architecturale et le respect des patrimoines urbains, paysagers et architecturaux, les CAUE vont être les « observateurs privilégiés » de la transformation des paysages impactés par les différentes facettes de l’étalement urbain. Ces observations vont progressivement influencer leurs pratiques du conseil aux collectivités locales, en passant du registre de la préservation patrimoniale à une vision plus stratégique,en faisant ainsi entrer l’urbanisme au cœur de celles-ci.
Le CAUE de l’Hérault, à l’épreuve de l’étalement urbain
Le CAUE de l’Hérault, avec ses différentes périodes d’exercice du conseil aux collectivités locales, illustre cette évolution. Après une période d’assistance à l’amélioration de projets de lotissements qui lui sont soumis par les élus, il diversifie ses actions. Il propose, dans les années 1990, des ateliers entre élus, lotisseurs, professionnels de l’aménagement et techniciens de collectivités sur les extensions urbaines et les lotissements, ainsi que des approches spatiales plus étayées dans le cadre de l’élaboration de documents de planification type POS (Plan d’Occupation des Sols).
L’urbanisme réglementaire en vigueur alors, à travers les POS, favorise l’habitat individuel isolé en milieu de parcelle – ou jumelé – sur la base de règlements standards dimensionnés pour et par la gestion de l’automobile. Les extensions périurbaines et rurales sont le plus souvent des collages de projets réduits à un découpage foncier, où l’espace public ne comporte que peu d’enjeux, sinon la desserte des parcelles.Aux élus qui s’émeuvent de l’absence de qualité architecturale des dernières extensions réalisées sur leur territoire, sous forme de lotissements[3], le CAUE suggère d’établir des priorités dans les qualités attendues de ces opérations. Il propose de distinguer ce qui est de l’ordre du réversible et de l’irréversible et met en exergue d’autres préoccupations. Ainsi, il s’attache à des questions de composition urbaine et paysagère, de continuité urbaine ou de maillage, d’accroche au site,d’espace public et collectif, d’usage, de gestion, etc.
Dans ce cadre contraint, le CAUE décrypte les mécanismes de cette production pour inviter les élus et leurs techniciens à une lecture vigilante des projets qui leur sont soumis et produit des préconisations adaptées à des sites spécifiques.Les questions posées par l’étalement urbain, notamment résidentiel, rencontrent alors peu d’écho chez les professionnels de l’architecture et de l’urbanisme portés vers une culture où prédomine la ville historique et dense. La montée des préoccupations paysagères – largement diffusées par les CAUE -, face à la destruction ou l’effacement des paysages nourrit une critique de l’étalement urbain et du zoning qui lui est associé, critique relayée par les médias, progressivement confortée par une critique sociale puis environnementale.
Ala fin des années 1990, l’ampleur de l’étalement urbain en Languedoc-Roussillon, et a fortiori dans l’Hérault, est devenu spectaculaire. Rapide, liée à une dynamique démographique qui ne faiblit pas, elle est l’une des plus fortes sur le plan national[4]. Elle se caractérise par d’importants phénomènes de périurbanisation autour des villes-centres qui jalonnent la plaine littorale. Et aujourd’hui, ces phénomènes s’étendent à l’ensemble du territoire, constitué d’un réseau de petites villes et bourgs qui le dynamise, mais qui participe à une diffusion de l’étalement urbain dans les « arrière-pays » ou milieux ruraux.
Malgré les injonctions à « la lutte contre l’étalement urbain », à la compacité, à la mixité et autres vertus invoquées par les lois et les décrets, relayés par un certain nombre de professionnels de l’urbanisme et de l’architecture, et malgré la montée des préoccupations environnementales qui rencontrent un plus large écho que les questions de qualité architecturales et paysagères, sur le terrain, le CAUE de l’Hérault constate un étalement de plus en plus débridé.
C’est dans ce contexte paradoxal et inopérant qu’il propose de diffuser des informations, des références,des pistes de travail aux élus et professionnels de l’aménagement sous différentes formes. Un ensemble d’actions intitulé « Habiter sans s’étaler » se met en place dans le cadre d’un partenariat avec le conseil général de l’Hérault.
En effet, en 2008, avec l’élaboration de sa politique environnementale,les services de cette collectivité se confrontent à une dénonciation récurrente de l’impact des différentes facettes de l’étalement urbain sur le territoire départemental. La fragilisation des milieux humides sur le littoral ou encore l’augmentation significative des risques d’incendies et d’inondations provoqués par la privatisation et l’imperméabilisation des sols sont mises en avant.Le paysage de l’étalement résidentiel, relayé par celui des zones commerciales et d’activités, est aussi décrié, pour la contradiction qu’il instaure avec l’image touristique qui est,par ailleurs, revendiquée. Personne publique associée[5] dans le cadre des documents de planification, le conseil général est confronté à l’absence de planification ou d’anticipation d’un certain nombre de communes, aux conséquences d’un étalement effréné qui l’oblige à un rôle compensateur notamment en terme d’infrastructures diverses et d’équipements.
Le pôle d’aménagement durable du territoire du conseil général demande au CAUE de développer des actions de sensibilisation sur le lien entre développement urbain et habitat individuel, auprès des élus et des professionnels de l’aménagement et d’y associer un appel à projets[6] ayant valeur de test. Composées de conférences, de débats, de visites d’opérations,ainsi que de la diffusion de plusieurs documents pédagogiques[7] ,ces actions se poursuivent en 2014, à la demande d’intercommunalités, avec une exposition itinérante et une réflexion sur la densification en milieu pavillonnaire.
Ce travail protéiforme est aujourd’hui repris par l’Union Régionale des CAUE en Languedoc-Roussillon pour une plus large diffusion.
Parallèlement, le CAUE développe,toujours dans le cadre de sa mission de conseil aux collectivités, des démarches de projet urbain partenariales qui intègrent un ensemble de problématiques. Selon des méthodologies préalablement établies, un partenariat avec la Région[8] et/ou le Département permet un appui aux communes ou intercommunalités volontaires pour une démarche de projet qui inclut, entre autres, des objectifs sociaux avec notamment la diversification de l’offre de logements. Car au-delà des enjeux environnementaux et paysagers, la question centrale est celle de l’offre de logement. Avec un coût du foncier prohibitif et une production monospécifique axée sur la maison individuelle en milieu de parcelle, le marché ne répond pas à la réalité des besoins dans les communes. Ces démarches ont une double visée : améliorer la qualité des documents d’urbanisme avec une approche concrète des composantes spatiale, économique et environnementale du territoire concerné et élaborer un cadre aux opérations publiques ou privées à venir.
Si, en amont, de nombreux élus adhèrent à ces démarches et démontrent une volonté accrue d’élaboration de véritables projets urbains…en aval les réalisations qualitatives, adaptées aux contextes périurbains ou ruraux, manquent encore !
La mutation des pavillonnaires
Parallèlement, de 2008 à 2013, le CAUE de l’Hérault s’implique aussi dans une réflexion nationale sur l’étalement urbain menée par un groupe de CAUE[9] avec l’appui de la Fédération Nationale des CAUE dans le cadre de son Université Permanente de l’Architecture, de l’Urbanisme et de l’Environnement. Le principe d’une approche constructive guide ce groupe de réflexion. Il explore tout autant les différentes facettes et logiques de la production des extensions urbaines, les constats critiques que les potentialités de projet de ces espaces de l’étalement urbain. Des universitaires-chercheurs, des praticiens, des élus,sont invités à débattre des enjeux sociétaux et économiques des diverses formes d’étalement urbain, dans le cadre de deux cycles de formation[10] à l’adresse des professionnels des CAUE et de leurs partenaires. L’intérêt croissant des participants – de plus en plus nombreux au fil des sessions – témoigne d’un nécessaire partage des connaissances et pratiques autour des nouvelles réalités territoriales qui s’imposent aujourd’hui.
A l’aune d’une reconfiguration des politiques et gestions territoriales, les CAUE réaffirment leur positionnement particulier qui se construit à la fois dans une dimension culturelle et pédagogique en s’adressant à différents publics et une dimension technique en prise avec des réalités opérationnelles, de terrain. L’insécabilité de ces dimensions et la capacité d’une approche des territoires dans leur profondeur fait toute l’originalité des interventions des CAUE.
Sylvaine Glaizol, Architecte-urbaniste, Chargée de la mission Conseil aux collectivités territoriales au CAUE de l’Hérault
Article rédigé pour l’ouvrage «L’urbanisme en partage» sous la direction de Laurent Viala – Editions de l’Espérou, Montpellier, 2014
NOTES :
[1] Architectes, paysagistes et/ou urbanistes sont majoritairement représentés au sein des CAUE, mais on y trouve aussi des géographes, sociologues, environnementalistes, juristes, graphistes, etc.
[2] Les Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement ont été mis en place, au fur et à mesure, à la fin des années 70 dans les départements à l’initiative des Conseils Généraux. Ils sont présents dans 92 départements. Ils assurent des missions de service public définies par la loi sur l’Architecture du 3 janvier 1977.
[3] La procédure du lotissement et la forme urbaine qui lui est associée sont vécues comme une possibilité de maîtrise face au diffus souvent majoritaire.
[4] En 2010, le Languedoc-Roussillon comptait 2 636 350 habitants. Selon l’INSEE, la population de la région a augmenté en moyenne de 1,3% par an depuis 1999, soit quasiment le double de l’augmentation en France.
[5] PPA – Personnes publiques associées auxquelles sont soumises les documents de planification type SCOT, PLU…
[6] Appel à projets auquel ont participé les communes de Colombiers, Cesseras, Poilhes, Murviel-les-Béziers, Pouzols, Montarnaud en faveur d’opérations d’habitats individuels denses
[7] Carnet 1- L’habitat individuel autrement – pour une maîtrise du développement urbain dans l’Hérault – janvier 2008
Carnet 2 – Les lotissements résidentiels – pour une composition urbaine et paysagère de qualité dans l’Hérault – janvier 2008
Carnet 3 – L’habitat à qualité environnementale méditerranéen – pour un habitat bioclimatique dans l’Hérault –sept. 2013
Documents téléchargeables sur http://www.caue-lr.fr/habiter-sans-setaler
[8] La Région lance en 2009 un appel à projets -« Nouvelles Formes Urbaines Durables » – renouvelé en 2013 – relayé auprès des élus par les CAUE de l’UR en Languedoc-Roussillon avec deux catégories : réalisations et études. Le département de l’Hérault soutient aussi des démarches de projet urbain auprès de collectivités pour lesquelles le CAUE propose un appui méthodologique.
[9] CAUE 12,17,26,34,41 (pilote),67,77,78.
[10] http://www.fncaue.fr – rubrique ETALEMENT URBAIN et Hors Série de la revue URBANISME, « Questionner l’étalement urbain », novembre 2013
Habitant(e)
En tant que citoyen, je pense en effet qu’il est urgent de repenser les espaces publics :
En zone rurale, 50 000 ronds-points servant parfois d’espace promotionnel de la commune (pour ne pas dire « publicitaire ») mais autour, généralement rien qui ne puisse s’avérer fonctionnel mis à part quelques aires d’autopartages ou commerces destinés à glaner la clientèle des automobilistes de passage..
En zone urbaine, si l’objectif est de bannir à terme la circulation automobile, il serait temps de remplacer les espaces dédiés à la desserte automobile par autre chose que d’amples esplanades vies et torrides ou des chemins piétonniers pensés comme des parcours pour les seuls joggers.
Habitant Marseille, je pense que ces parcours devraient aussi accueillir des promeneurs, se prêter à la fréquentation des personnes âgées ou handicapées. Pourquoi pas par exemple relier tous les établissements de santé et maisons de retraite des quartiers de Montolivet et Saint-Barnabé au circuit piétonnier de feu (j’espère) la voie de contournement de la L2, les relier aux jardins publics avec des horaires d’ouverture élargis (pourquoi les fermer à 19h en été alors qu’il fait jour jusqu’à 22h). Je m’étonne aussi de l’absence de pistes cyclables digne de ce nom dans une ville qui a développé le vélo en libre service!
Habitant l’îlot Picon dans le quartier du chapitre, je me désole de savoir la verrière construite en 1890 par Gaëtan Picon pour ces ateliers de distillation, pourrir sur pieds car sans affectation depuis plusieurs années après avoir servi de garage pour EDF. Seuls quelques supermarchés en quête d’implantation en centre de ville semblent s’être un temps intéressés à cet espace.
L’ouvrage auquel fait référence l’auteur est disponible aux presses universitaires de la Méditerranée avec les contributions d’une quinzaine d’auteurs : http://www.pulm.fr/index.php/catalog/product/view/id/593/s/l-urbanisme-en-partage/category/110/