De l’air …

- par François-Frédéric Muller. habitat : mutations et innovations ?

J’ai été invité il y a quelques semaines à une matinée « Qualité de l’air intérieur» organisée conjointement par plusieurs organismes publics, à la mairie de Strasbourg. Il n’est pas ici nécessaire de donner la liste de ces organismes ou de livrer les noms des organisateurs, il faut juste retenir que ces organismes sont publics. Ce qui est important, et ce qui me pousse à le relater ici, c’est que ce genre de réunion est le symptôme d’une dérive rampante qui envahit notre métier.
A l’ouverture de l’invitation, l’objet de cette journée m’a semblé clair, tout était dans le titre : « Qualité de l’air intérieur et diagnostic des établissements recevant du public ». Etaient invités divers architectes, propriétaires et gestionnaires d’ERP. L’objectif de cette matinée d’information ne pouvait emporter que mon adhésion, il s’agissait d’être « tous engagés pour une meilleure maîtrise de la qualité de l’air intérieur ».Je m’inscrivais donc avec la ferme intention de me battre à mon niveau pour améliorer les conditions de vie des futurs utilisateurs de mes bâtiments, mais avec déjà quelques soupçons car j’avais identifié dans le programme que serait plus particulièrement abordé le cas des ERP accueillant des enfants de moins de 6 ans…ça sentait sa prise d’otage à plein nez.
Je ne fus pas déçu. En résumé, la matinée a été partagée en trois parties : terreur, culpabilisation, normalisation. C’est cette valse à trois temps, parfaitement huilée et calquée sur l’air du temps, qui me pousse à écrire ces lignes. Qu’il ait été question d’ERP n’est qu’un détail, le logement a également été abordé, et à vrai dire c’est toute la construction qui s’est retrouvée passée au crible vertueux de la qualité aérienne.
La terreur d’abord avec une litanie de chiffres et une démonstration édifiante sur les particules que nous respirons tous les jours, leur taille et leur dangerosité respectives, le temps qu’elles mettent à atteindre les plus petites alvéoles de nos poumons avant de s’y installer pour s’y transformer en joyeux cancer. Nous connaissions tous les méfaits des gaz d’échappement et de l’amiante, mais ce n’était rien comparé aux formaldéhydes et autres benzènes qui envahissent nos logements dans des proportions scandaleuses. A écouter les intervenants, on se demandait presque par quel miracle nous vivions tous encore sans assistance respiratoire. Dès cette première partie ont été convoqués les enfants, avec leurs petits poumons forcément plus fragiles, des petits êtres si innocents que nous exposions, affreux concepteurs et gestionnaires que nous étions, aux féroces particules. A n’en pas douter les miens reviendraient bientôt à la maison en me faisant la leçon comme ils me bassinent aujourd’hui lorsque je jette le pot de moutarde avec son bouchon dans la benne à verre.
La culpabilisation ensuite, avec l’exposé méthodique des actions correctrices que nous ne mettions pas en œuvre, justement parce que cette menace invisible nous était inconnue jusqu’alors. Des labels avaient été créés pour reconnaitre les produits « vertueux », il suffisait de se rappeler d’acronymes obscurs et que A était mieux que B qui lui-même était mieux que C. L’étiquette salvatrice ressemblait à celle que l’on trouve sur les frigos et les appartements à vendre. Le problème est qu’avec l’étiquette « Bilan carbone », l’étiquette « Recyclabilité » et la nouvelle étiquette « Qualité de l’air », trouver un produit vertueux devenait aussi compliqué de de trouver des biscuits sans huile de palme dans un hypermarché. L’enfer étant toujours pavé des meilleures intentions, l’excès d’information finit par tuer l’information et j’en viens à regarder tous ces labels comme des décorations plus ou moins kitsch sur les produits que j’achète ou que je prescris. A propos de prescription, je crois que je tue le prochain représentant de matériaux qui déballe sa camelote en prétendant qu’il est plus vert, plus cradle-to-cradle ( ?!), plus recyclable, plus bio-concerné que son concurrent.
Et bien sûr pour nous achever, l’énoncé des normes existantes bien trop faibles et que tous les intervenants espéraient voir se durcir. Il fallait définir des seuils à ne pas franchir, des concentrations au-delà desquelles le concepteur pouvait être mis en cause, des teneurs au-dessus desquelles il fallait fermer l’établissement. A l’écoute horrifiée des nouvelles normes qu’il faudrait que j’intègre bientôt dans mes descriptifs, je me ratatinais un peu plus dans mon siège, j’attendais le sursaut salvateur d’un collègue, quelqu’un que j’aurais pu applaudir et suivre, mais au lieu de ça, un participant colère demanda pourquoi ce scandale était tu depuis si longtemps, et qu’il fallait vite vite mettre en place ces normes qu’on attendait, et surtout les punitions qui allaient avec pour les architectes négligents. N’écoutant que mon courage, je me taisais, l’échine suffisamment courbée.
Au milieu de cette déferlante normalisatrice, une intervenante est venue nous exposer une action tout à fait innovante, dont je ne me souviens plus si elle était initiée par la ville ou la région, peu importe, qui s’intitulait « Toutes les deux heures, j’ouvre une fenêtre ». Cette sensibilisation était destinée aux écoliers, il fallait de toute urgence leur apprendre à ouvrir la fenêtre de leur classe pour renouveler l’air intérieur vicié par les vilaines particules et leur propre respiration. Dans l’assistance pas un mot de révolte contre cette mécréante qui compromettait la sacro-sainte étanchéité à l’air, une des nombreuses mamelles de la réglementation thermique cru 2012. C’était véritablement délicieux, après les injonctions crétines « Mangez bougez !» et « Cinq fruits et légumes par jour », il fallait apprendre à nos chères têtes blondes un geste d’une banalité confondante : ouvrir la fenêtre. Le bon sens érigé en trouvaille, bientôt démarche citoyenne, ou mieux, geste vert ! J’attends avec impatience « J’ai froid, je me couvre ! », ou « Le nez qui coule ? vite un mouchoir ! ». Il est normal que l’infantilisation de notre société commence par les enfants, mais le plus surprenant est qu’il n’y a eu aucune réaction dans la salle. Pire, personne n’a ri. Ca fiche la frousse.
Pourquoi cette chronique légèrement outrancière alors que le sujet est le logement social ? Et bien parce que ce puritanisme aérien, ce réveil de la vierge effarouchée par un courant d’air particulé, ce déluge de normes prévisible s’appliquera à n’en pas douter très prochainement à la construction des logements aidés. Puisque le système des subventions s’adosse à l’adoption de toutes les dernières trouvailles normatives, il faut se préparer à quelque addendum à nos référentiels Cerqual. Le logement social semble être devenu le réceptacle ou le laboratoire des contraintes les plus délirantes appliquées à la construction. Les exigences au cm² près des maitres d’ouvrage percutent allègrement les réglementations PMR, acoustiques et thermiques. La prochaine réglementation « qualité de l’air » sera tout aussi savoureuse et permettra d’atteindre, à n’en pas douter, un niveau de confort inversement proportionnel à la qualité architecturale des logements. La démonstration est presque trop simple : lorsqu’on est trop occupé à déjouer les chausse-trappes réglementaires, on n’a physiquement de moins en moins de temps à consacrer à des variables négligeables comme l’espace, la lumière, l’orientation, la qualité d’usage.
Dans le cas précis de la qualité de l’air, les intervenants nous ont bien expliqué que l’ennemi était identifié, les rejets néfastes des matériaux de construction étaient parfaitement quantifiés. Mais alors, demandais-je naïvement à un des organisateurs, pourquoi ne pas plutôt s’adresser aux fabricants de ces matériaux, pourquoi ne pas remplacer les étiquetages et les mesures punitives pour les architectes par des menaces plus directes à l’encontre des industriels ? Pourquoi ne pas leur tordre le bras un peu plus fort et exiger qu’ils injectent un peu plus dans la R&D et un peu moins dans les catalogues trendy et les commerciaux évoqués plus haut ? Silence gêné qui voulait dire : c’est bien plus simple de faire culpabiliser et de terroriser les usagers et les architectes que de se lancer à l’assaut des industriels. Les politiques présents dans l’organisation de cette matinée étaient parfaitement complices de cette mascarade, et je ne surprendrai personne et précisant qu’il s’agissait d’élus verts. Il est vraiment épatant de constater comment cette volonté farouche de réglementer chaque parcelle de notre vie, à commencer par nos logements, débouche invariablement sur de nouveaux besoins matériels quantifiables et marketables, bientôt transformés en nouveaux marchés par ces mêmes industriels qui nous empoisonnent l’air. Un système bien huilé.
Pour finir, je préciserai que cette sauterie était co-organisée par un laboratoire très sérieux, hébergé par l’université, qui travaille à la mise au point d’un détecteur de particules, une sorte d’alarme qu’ils travaillent à miniaturiser et qui équipera sans doute bientôt tous les foyers français. Mais autant je vois comment un détecteur de fumée peut sauver des vies, autant un détecteur d’air vicié par la mauvaise qualité de nos constructions, je comprends mal. Quand l’alarme sonne, c’est trop tard… ou alors elle sert d’avertisseur pour ne pas oublier d’ouvrir les fenêtres.

François-Frédéric Muller, architecte, enseignant ENSA Strasbourg

Partagez

4 commentaires au sujet de « De l’air … »

  1. VINCENT Julien

    Tout-à-fait d’accord, il serait bien que le gouvernement arrive à faire bouger les industriels, pour qu’ils fassent moins souffrir les architectes par des labels et autres réglementations. Reste à trouver comment déstabiliser les Lobbys, forcer les industriels à innover dans le bon sens, trouver la carotte qui les fera devenir moins rentables pour le bien de tous.

    Aujourd’hui, beaucoup d’industriels sont plutôt occupés à écraser la moindre start-up intelligente qui pourrait leur faire de l’ombre. Certains ont même développé des techniques pour cela : leur R&D se lance dans le même projet et n’y arrive pas, puis communique sur le fait que cela ne fonctionne pas. Plus aucun banquier ne prête à une pme lorsqu’une multinationale n’y arrive pas…

    Je suis inquiet pour nous.

    Répondre
  2. BOIVIN Pascal

    Architecte - Ville > 50.000 habitants - 30900
    erratum, (j’ai cliqué trop vite sans finir mon commentaire)
    … suite …
    Affirmer haut et fort que si les indicateurs sont précieux pour quantifier le comportement de nos constructions, le concepteur « maître de l’œuvre » doit aussi savoir s’en affranchir pour se concentrer sur l’essentiel : accueillir la vie et l’activité des hommes. Les choix de l’architecte pour assurer la cohérence de tous les critères à une valeur bien supérieure que le respect individuel de chaque critère.
    Lorsque l’on met sous contrôle tous les métabolismes du corps humain avec de multiples sondes et que l’on traduit la vie en chiffres, bilans comparés aux normes, celui qui est en bonne santé se sent très vite malade.
    Cet article révèle bien comment un bon sentiment isolé du contexte de la complexité que gère l’architecte devient un non sens.
    Le logement n’est pas une machine. Il est le prolongement, la métaphore de la matrice originelle, notre cocon de vie.
    Le logement est un espace libre où chacun écrit le poème de sa vie.
    La vie doit prévaloir sur la mesure.
    Aucun des édifices remarquables du patrimoine mondial n’est probablement aux normes actuelles.
    La responsabilité c’est de répondre à des objectifs au mieux des moyens et des connaissances.
    La quantification peut être un objectif, mais ne doit pas être une fin en soi.
    La norme n’apporte pas la prospérité, la paix sociale, la qualité de vie.
    L’édifice câblé, sondé, perfusé, sous contrôle, est l’aboutissement d’une paranoia dégénérescente.
    Identifier les risques, utiliser les outils de mesure pour savoir, …
    mais savoir pour décider et choisir non pour contrôler et punir.

    Répondre
  3. Loaëc Aëlle Laurence

    Architecte - Village - 09110
    Il est temps que les architectes se tournent vers les industriels..
    Pourquoi ne pas créer une liste des entreprises et des matériaux où la priorité est de préserver la santé de l’homme et son environnement…quelques soient les labels.. Cette liste permettrait aux concepteurs et maitre d’ouvrage d’aller y piocher ce dont ils ont besoin pour leur projet les yeux fermés, ou presque et elle pousserait également les industriels à tout faire pour y être intégrer… donc à réaliser des objets ou des matériaux sains…
    Je pense que les normes et les règlements sont une première étape vers une simplification… c’est comme un tamiseur pour obliger les fabricants à ne plus faire n’importe quoi, surtout quand la santé et la vie en est l’enjeux..

    Répondre
  4. Gainche Mathieu

    Architecte - Village - 71390
    J’ai bien ri, c’est tellement ça ! Méfions nous du « courant d’air particulé, ce déluge de normes prévisible » !!
    il faut bien que les donneurs de leçon de tout poil justifient leur existence, et que d’autre part les industriels profitent, après tout c’est leur job, non ?

    Répondre

Commentez Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.