Horizons pour l’architecture

- par Jean-Luc Guedj. habiter la métropole

Jardins, paysages, territoires *

Potagers partagés, ruches sur des toits, fermes en ville ou verticales, l’urbain semble à la recherche d’un nouvel Eden. La ville du 21° siècle voudrait ainsi absoudre son individualisme minéral et ses pollutions dans un végétal rédempteur. Suspendu, accroché, ou planté en jardinières et si poétique soit-il, le «vert» ne saurait constituer seul un projet de société sans projet urbain et politique volontaire. Parcours urbains bucoliques, coulées vertes, parcs habités, sont des initiatives qui confirment la nécessaire aération de la ville, et un renouveau de l’envie de travailler la terre.

guedj2L’espace vert crée du lien social mais un verdissement public trop dispersé, sophistiqué ou à petite échelle est couteux et d’un bilan environnemental contestable…c’est un paradoxe car la nature sait vite reprendre vie sous les pavés avec ses herbes folles et ses mousses. Pour avoir une ville plus verte, c’est pourtant pourtant simple : laisser habitant fleurir son balcon, semer son pas de porte, planter sa terrasse, ou cultiver son jardin. Encore faut-il qu’il y en ait ! cette aspiration profonde doit pouvoir être satisfaite.
Ainsi soit-il, sauf que les grands enjeux d’espace et d’environnement sont encore et pour longtemps hors les villes: ce sont les terres agricoles et les espaces naturels que l’on «sanctuarise» ou que l’on ne parcourt jamais et qui pèsent plus de 99% de la surface émergée de la planète! Ce sont les limites entre urbanité et nature qui s’estompent. Ouvrir la ville sur ses terroirs sont les enjeux paysagers, environnementaux et nourriciers de la ville de demain, où l’avenir du paysan rejoindra peut-être celui du citadin. Allons-nous voir des nouvelles générations de gentlemen-farmers, de retraités à la main verte exilés des centres urbains, d’urbains du potager partagé, d’immigrés métayers, de paysans esseulés ultra-mécanisés?
Ce sont de grands enjeux de territoire et de société: si la terre est dit-on «empruntée aux générations futures» elle l’est surtout au présent par celui qui la travaille, ce qui est une légitime forme d’appropriation.
* titre emprunté au DEA dirigé par B. Lassus et A. Berque – EHESS

Architecture durable: révolution technique et raison économique

L’apparition du mot «durable» nous a paradoxalement fait prendre conscience que rien ne durerait toujours. Malgré nos vertes aspirations, on ne maîtrise pas l’évolution climatique, ni l’écologie. Une technologie complexe s’est immiscée dans le bâtiment banal poussée par les progrès de la haute-technologie et un corpus règlementaire toujours plus lourd. Or ce bâtiment banal était jusque là une construction simple obéissant aux lois de la gravité et aux contraintes climatiques. Aujourd’hui les progrès de la construction, les matériaux nouveaux, et la recherche d’économie d’énergies, accompagnent l’énergie créatrice de l’Architecture vers une nouvelle révolution technique, une nouvelle ère du construire.Le logement, entre donc dans une révolution d’innovations domotiques mais qui doit être choisie et adaptée en fonction du programme, du site et de l’échelle.
Pour réussir cette mutation, il faut que cette technique puisse être gérée et contrôlée simplement par le propriétaire ou le gestionnaire; pouvoir évoluer et s’adapter avec le logement. C’est à dire rester «domestique». Pour ce l’écologie doit d’abord rimer avec l’économie des choses, le bon sens et la simplicité de principes: orientation, inertie, ventilation naturelle, écran solaire ou végétal, double-mur, enduits respirant, puits provençal sont bons à prendre; ouvrir une fenêtre est un droit.
Le nouvel art de construire consistera donc à mixer techniques millénaires de construction avec dispositifs sophistiqués, et faire côtoyer l’artisanat local et le high-tech. Ces enjeux devront répondre aux contraintes, aux besoins et aux envies, dynamisant ainsi l’Art de construire et entrainant l’Architecture vers des horizons des plus intéressants.

Cités et quartiers en mutations

guedj1Les mots de «cités», ou de «quartiers» renvoient communément aux ensembles d’habitations modernes lors de problèmes sociaux. Or c’est un contresens linguistique: ces lieux souffrent précisément parce qu’ils n’ont pas les qualités de vie et services des «cités» ou des «quartiers» d’une ville. Souvent le diagnostic se lit simplement dans les espaces collectifs et extérieurs qui disent les rapports des habitants entre eux et à ces territoires.
Malgré l’optimisme qui les a vus naître, le mal d’y vivre a parfois vite rongé ces «cités» et on a eu tôt fait de mettre au ban cet Urbanisme, et préconisé la démolition de ces Architectures. Rappelons aussi que ces démolitions sont parfois tout à fait justifiées par les carences techniques d’immeubles vite montés pour faire face à la demande et à la pression économique.
Il y a il est vrai de nécessaires mutations de beaucoup de ces ensembles pour les adapter à la ville qui change aussi, comme d’ailleurs n’importe quelle forme d’habitat de n’importe quel quartier. Et pour que ces ensembles puissent avoir une seconde vie il faut d’abord détecter et valoriser ce qui peut l’être, puis améliorer ou intervenir à bon escient. S’il existe de multiples solutions pour accompagner ces mutations, notre travail vise la simplicité.
C’est pourquoi clarification foncière, statut des espaces extérieurs, limites public-privé sont des préalables simples à toute intervention même minimale, et les effets s’en constatent socialement.
Ce processus de mutation ne revendique pas de faire table rase d’un passé architectural moderne, mais plutôt de reprendre le crayon là ou les Modernes l’ont posé: le besoin de confort et d’espaces.
L’Urbanisme est une discipline récente, et les 70 dernières années d’Urbanisme moderne et de rénovations diverses de la ville de toute époque nous ont éclairés : nous avons désormais davantage de solutions possibles pour perpétuer la ville et la créer.

Architectures et échelles d’interventions

Nous appréhendons les projets par 3 échelles : le Territoire urbain, le Quartier, l’Unité bâtie. Ces 3 échelles en poupées russes s’approchent par une seule et même discipline et nous défendons le principe que l’Architecture est cette discipline d’approche et pratique pour la ville. Elle va du champ de l’Urbanisme au détail constructif, de l’opérationnel et du règlementaire à la réalisation technique. l’Architecte en tant qu’Homme de l’Art, est dépositaire du projet, de sa planification et de sa mise en oeuvre à toutes ces échelles. La polyvalence de l’Architecture appréhende et synthétise les champs juridiques, formels, techniques et sociaux et propose des solutions mesurées pour aller à la concrétisation, à l’acte du projet.
D’ailleurs le rôle de maître d’oeuvre est aussi de comprendre, d’intégrer et de coordonner des compétences complémentaires qui s’avèrent nécessaires selon les projets.
Ces composantes intrinsèques à l’Architecture permettent de replacer un projet dans un contexte, d’en fixer les limites, d’en préciser l’architectonique, d’observer un fonctionnement et des usages ou de les inciter. De composer la Matière pour que la vie s’y déroule.
Nous sommes donc convaincus que les fils conducteurs de l’Architecture sont par vocation les meilleures approches de la ville, mais bien sûr, l’Architecture ne peut pas tout : un projet n’existe pas sans volonté du Maître d’Ouvrage et sans le savoir-faire des Entreprises.

Urbanisme, déplacements et syntaxe de la ville

guedj3Un PLU ne peut ex abrupto prescrire le devenir de la cité sans prendre en compte les enjeux de mobilités, des lignes de transports structurants, de l’environnement en général -le bruit et qualité de l’air en particulier- . À l’inverse une politique de déplacements et de transports ne peut se considérer sans s’intégrer dans le contexte urbain ou inter-urbain: localisation des noyaux urbains, densités, règlementations, orientations d’aménagements et de développement durable; la Ville et son évolution, c’est à dire sa morphologie.
Pour nous ces domaines connexes forment une seule et même discipline qui construisent l’espace, le qualifient et le parcourent: temps de parcours, dépenses d’énergies, qualité de l’air, paysages traversés sont des données et paramètres qui complètent les thématiques classiques des formes urbaines pour qualifier la vie dans la ville. Les dépenses d’énergie du bâtiment, les usages mobiliers et matériaux utilisés (énergie grise) ne représentent que la moitié de l’énergie consommée par les ménages; l’autre moitié est consommée par les déplacements….alors qu’ils ne représentent que 20% de notre temps!
On mesure là les enjeux et les efforts à faire dans l’Urbanisme et la mobilité. C’est pourquoi nous intégrons le concept de potentiel d’eco-mobilité*, qui permet d’évaluer les dépenses énergétiques des déplacements tenant compte des distances, des parts des modes de transports et de la consommation d’énergie de chaque mode.
Habiter, se déplacer, respirer, relier…Au delà de l’impact environnemental et comptable, les données de la mobilité et des réseaux sont les éléments d’une bonne syntaxe de l’espace de la ville, c’est à dire une bonne relation de ses différentes parties. Cette syntaxe de la ville est une approche spatiale quantifiée de notre cadre de vie.
* développé par Effinergie et le CSTB

Plus d’espaces …

80% des franciliens vivent en 1°et 2° couronne de Paris, dans une densité 20 fois inférieure à Paris: ces chiffres simples portent en eux les enjeux de l’Urbanisme et disent les besoins d’espaces des populations. C’est pourquoi recomposer et aérer la ville est un enjeu majeur: offrir des vues aux habitants, proposer des espaces publics de proximité accessibles à pied pour les enfants en variant les parcours, voici quels sont pour nous les enjeux de la pérennité de la ville de demain. Ce sont là des prix à payer pour que les centres ville soient réinvestis par les familles, gages de durabilité et d’urbanité. Car il existe des seuils de densité au delà desquels les équipements trop sollicités sont couteux, les flux nuisibles, les voisins trop présents, les constructions trop contraintes: la ville devient alors toxique.
L’habitat intermédiaire au gabarit apaisé, aux espaces variés et aux couts limités, se développe et permet à l’occasion de retrouver en certains quartiers un épannelage urbain cohérent; le pavillonnaire peut aussi servir la dynamique de la composition urbaine en péri-urbain; à l’instar du hameau de jadis il peut se densifier et structurer de nouveaux quartiers.
Plus d’espaces aussi pour les logements dont nous souhaitons une remise en question des standards de surface, une adaptabilité, des variations de hauteurs sous plafond, des vues et des vis-à-vis principaux distants, des espaces extérieurs privés ou partagés.

Le site

Le site est la matière du projet. Cette entité aux dimensions physiques, sociales, d’usages ou de parcours est toujours rattachée à un contexte et à un territoire. Aussi faut-il la cerner avec acuité pour préciser le périmètre d’étude puis celui du projet, et y revenir souvent.
C’est pourquoi nous complétons l’analyse sectorielle classique -histoire, géographie, société, topographie, trame végétale, typologies, morphologies- par l’étude du fonctionnement par observations, quantifications -fréquentations, occupations, analyse de déplacements notamment et en établissant un contact avec riverains et usagers. Invariants, contraintes, atouts, point faibles, mouvements vont conduire l’analyse, le projet puis l’intervention, parfois minimale.
Cette intervention urbaine, architecturale ou paysagère ne doit pas être une projection sur le site, mais une projection du site dans un projet pour ceux qui y résideront et ceux qui y passeront.

Logement: construction et évolutions

Le logement est une question centrale de l’histoire de l’Architecture et de l’Urbanisme: il doit remplir la fonction primaire d’abriter et de protéger, et doit aussi traduire les nouvelles aspirations sociales des citoyens et des règlementations de plus en plus contraignantes.
La construction du logement doit donc in fine mettre en équation ces aspirations et règles avec des moyens fonciers, techniques ou économiques. Le logement est donc le résultat d’une conjonction entre des modes de vies de plus en plus complexes, des situations sociales ou professionnelles en évolution et des moyens matériels. Or la mutation de la cellule familiale, mobilité ou précarité professionnelle, vieillissement, aspirations «vertes» ou à plus d’espaces, migrations, part d’auto-construction, modularité sont des variables à prendre en compte.
Pour résoudre ces équations du logement, nous nous attachons aux éléments du clos couvert (HE/HA), aux attributs simples, aux dispositifs constructifs. Nous traduisons ces espaces en un vocabulaire architectural déclinable sur des quartiers entiers et souhaitons retrouver de la relation architectonique dans la ville.

Rues, espaces publics, société

La rue et l’espace public disent notre rapport à la ville et l’état nos démocraties. Passer, éclairer, ventiler, se récréer, échanger, commercer, agrémenter, mettre à distance ou s’approcher, la fonction de la rue et l’espace public n’est pas résiduelle; sa fonction est celle de la mesure, de la cadence et du lien pour former avec les bâtiments la partition de la ville, et dont chaque mesure est unique. La rue imprime sa géométrie euclidienne à la ville. Nommée, numérotée, balisée, elles délimite les ilots, les quartiers, et relie les lieux depuis l’autoroute, la venelle et jusqu’au pas de porte.
Elle peut être perçue comme simple espace entre prospects ou lieu de passage, pensée comme structure dynamique qui organise l’urbanisation, voulue comme vecteur paysager ou économique. Elle est tout çà à la fois.
Quelle que soit sa hiérarchie la voie sert la dynamique nourricière de la ville et la rue. Espace de découvertes et de rencontres, elle est vecteur de société et ouvrir une voie est un acte important fondateur d’urbanité.

Jean-Luc Guedj, architecte, association « Actes d’architectes »

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