Du temps réel au temps masqué (la crise de l’avenir ou la vanité de l’innovation)

D’abord le temps de conception d’un édifice se réduit, ensuite les temps d’obtention des autorisations et accords multiples se rallongent, et finalement la durée de « vie » de l’édifice commence à être anticipée !
C’est à se demander si l’obsolescence programmée ne temporise pas également l’immobilier, remettant en cause la notion même de patrimoine ?

Imaginer des bâtiments qui n’allaient durer qu’un temps, alors que rien n’est plus étranger à la tradition architecturale que d’anticiper la destruction de ce dont la construction est encore en gestation ! Quand on construit, c’est pour longtemps et selon des méthodes et avec des matériaux fiables dans le cadre de métiers très structurés. Par chance, nous espérons que nos bâtiments dureront plus longtemps que les délais envisagés… Architectes, êtes vous en mesure d’imaginer vos œuvres y intégrant leur dé-construction ?

Alors rien d’autre comme programme que celui de croire au progrès.

Mais alors comment, pour nous, architectes, permettre aux générations futures de se projeter concrètement dans un édifice conçu et réalisé aujourd’hui ? Aujourd’hui, l’idée selon laquelle l’avenir serait systématiquement complice des initiatives humaines décline. Par une sorte de sortilège ou de maléfice, il suffit désormais à l’avenir de devenir présent pour se désenchanter. Progrès y a-t-il sans doute systématiquement, mais nous ne savons plus ni le désigner ni même le reconnaître. Le présent ne ressemble plus au passé, certes, mais il nous semble toujours empli de carence. Cette indigence devrait nous rendre impatients de l’avenir, mais l’avenir, lui, s’est mis à nous faire peur ! Certes, l’avenir a toujours fait peur, mais il nous inquiétait hier parce que nous étions impuissants. Il nous effraie aujourd’hui par les conséquences de nos actes. Nous n’avons pas les moyens de les discerner clairement. L’énergie de l’avenir ne s’exerce plus, car nous nous sentons impuissants vis-à-vis de notre propre puissance. Celle-ci nous gargarise de belles promesses autant qu’elle nous effraie. Notre maîtrise des choses et du monde est en effet à la fois démesurée et incomplète. Elle est suffisante pour que nous ayons conscience de faire l’histoire, mais elle est insuffisante pour que nous sachions quelle histoire nous sommes effectivement en train de faire. Du coup, nous craignons cet avenir même que nous sommes en train de construire d’une façon apparemment délibérée.

L’architecture, quant à elle, s’inscrit dans le temps lent, elle sédimente les villes. La mondialisation fabrique ses icônes architecturales, nouveaux logos urbains. La métropolisation grandissante produit des urbanismes traduisant les profits solitaires plus que le bon sens solidaire. Les villes deviennent icônes, ville folle, ville emballée, fulgurante, ville où tout semble possible, aujourd’hui, demain- ou meurent.

Et puis la course aux économies d’énergie modifie l’écriture architecturale des façades, dicte l’orientation des bâtiments, voit la prolifération de matériaux « naturels », modifie les manières de penser comment on va habiter demain. Nous habitons la même planète, et c’est ensemble que nous devons être bienveillants avec elle.

 

 

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