Conserver les Tours Gabarre à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe

- par Michèle Robin-Clerc. habiter la métropole

Il y a quelques années un représentant de la Société d’HLM qui gère l’ensemble des Tours Gabarre a subi une agression. Aussitôt on s’est inquiété de cette situation et la Sikoa qui avait presque engagé une étude de renforcement de ces trois bâtiments a décidé soudain de mettre en place une procédure de démolition. Ainsi les locataires sont peu à peu relogés ailleurs et leurs logements laissés vacants « désactivés » c’est-à-dire qu’ils voient leur porte d’entrée condamnée.

robin-clerc1Une des tours Gabarre (Photo MRC, 2007)


Cependant vivent encore là, comme je vais m’en rendre compte, des familles et des personnes âgées. On m’avait dit mon Dieu n’y allez pas c’est le ghetto, il y a des trafics de drogue vous allez vous faire attaquer et voilà que je trouve, vers midi, des petites en uniforme d’école, leurs nattes fermement tressées et leurs cartables bien ajustés, qui me font l’honneur des lieux. C’est la plus âgée qui mène et il faut voir ces trois fillettes tenter de prendre l’ascenseur, y entrer, me dire, « Venez, venez madame », moi je suis bien inquiète, la grande referme la porte à la main, appuie sur tous les boutons au plus près du quinzième convoité, attend un peu et me dit : « Ça ne marche pas aujourd’hui, madame ! », elle rouvre la porte toujours la main et attaque bravement les 15 volées de marches qui les mèneront, elle et ses sœurs, à la maison.

L’ensemble immobilier comporte trois tours identiques qui ont été construites de 1972 à 1975 par les architectes Creveaux et Tessier, avec l’ingénieur Christian Bloch et le Bureau de Contrôle Véritas. Les tours comportent chacune dix-neuf étages, leurs fondations, étudiées par Simecsol et Paumelle et réalisées par Bachy, sont profondes et constituées de pieux ancrés dans le calcaire à 33 m de profondeur, à travers des sols meubles. La structure est composée de voiles et de dalles en béton armé, coulés par coffrage tunnel, et les cloisons et les remplissages sont constitués de parpaings creux enduits. On trouve dans ces tours en moyenne 8 appartements par étage, 2 de deux pièces et 6 de quatre pièces, pour environ 27 personnes par niveau, soit en tout 543 personnes par tour et 1630 personnes pour les 3 tours.

Au dixième étage habite une charmante dame qui me dit avoir emménagé là dès 1975. Elle a subi tous les tremblements de terre, y compris celui des Saintes en novembre 2004 et celui de la Martinique en novembre 2007. Eh bien elle trouve que les tours se comportent très bien et elle n’a pas peur du tout, elle ressent que le bâtiment est monté « sur roulettes », qu’il bouge pendant le séisme et qu’il revient à sa place ensuite. Le groupe de travail Diagnostic et Renforcement de AFPS a étudié en 2010 de manière approfondie le comportement des Tours Gabarre lors d’un tremblement de terre et les calculs ont montré qu’en raison de leur conception initiale, fonction des règles parasismiques PS 69, et de leur dimensionnement aux vents violents des cyclones, les tours résistent de manière très performante aux séismes, ce qui donne raison à cette dame.

Il faudrait donc éviter de tenter de régler un problème de ghettoïsation supposée en jetant le bébé avec l’eau du bain. Ces tours permettent de loger comme nous l’avons vu 1 600 personnes et la Guadeloupe a un manque cruel de logements sociaux, de l’ordre de 5 000 à 15 000 selon les estimations. La démarche de construction-démolition-reconstruction dans le cadre des crédits ANRU (Agence nationale pour le Renouvellement Urbain) présente de très nombreux inconvénients. Tout d’abord les habitants de ces immeubles sont attachés à leur mode de vie et à leur quartier. Par ailleurs, démolir des logements ne fait que creuser le déficit de logements sociaux. Puis les déchets issus de ces démolitions viendront polluer un environnement îlien particulièrement vulnérable et sensible, comme j’ai eu l’occasion de le photographier dans la campagne gosiérienne où une ravine en était obstruée.

robin-clerc2Que faire des déchets des démolitions ? (Photo MRC, 2006.)

Par ailleurs, et c’est là un des arguments majeurs des « démolisseurs », la mixité sociale devient indispensable. Ne faudrait-il pas profiter du processus de gentrification de Pointe-à-Pitre qui s’initie, pour aménager des appartements plus grands, faits de plusieurs logements, situés dans les étages élevés d’où on a une vue magnifique et qui pourront intéresser des familles plus aisées. Il est nécessaire bien sûr de rénover ces tours, que ce soit au niveau des ascenseurs, des carrelages, de la plomberie, de l’électricité, et une isolation acoustique pourra être réalisée sur les dalles lors de cette réhabilitation. De même une isolation thermique par l’intérieur pourra être mise en place. Il manque par ailleurs des escaliers de secours aux extrémités des couloirs longitudinaux et il sera facile de les ajouter en structure métallique légère.
Il faut savoir qu’avec la nouvelle règlementation thermique (RTG), les appartements coûtent de plus en plus cher à construire et seront donc de plus en plus en plus onéreux à la location. Le fait de chasser les gens des tours pour les reloger ailleurs aura pour effet d’augmenter considérablement leur loyer.

Enfin il ne sera pas possible de reconstruire là des tours de 19 étages en raison des nouvelles règles urbaines, et ainsi moins de logements seront proposés en reconstruction. Comme on le sait Pointe-à-Pitre a une superficie très réduite de 266 hectares et elle a été obligée de supprimer son stade pour faire l’opération de remplacement des barres Henri IV. Où a-t-on mis tous ces gens, à combien se monte leur nouveau loyer, comment vivent-ils leur déracinement ?
Disons-leur, aux démolisseurs, avez-vous pensé aux êtres humains ? Savez-vous bien que là vivent de charmantes dames et des enfants qui grandissent dans leur quartier, vont à leur école à pied pour y retrouver leurs amis. Savez-vous ce qu’être arraché aux lieux de son enfance ou de sa vie d’adulte représente? Croyez-vous que vous soignerez ces jeunes, peut-être un peu perdus, en les ôtant de là pour les remettre ailleurs, plus loin, plus cher ?

Michèle Robin-Clerc, architecte

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3 commentaires au sujet de « Conserver les Tours Gabarre à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe »

  1. Luc Baillet

    Architecte - Métropole - 59650
    ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain…surtout si le bébé est contagieux!
    Si je peux comprendre que l’architecte se préoccupe de l’avis de certains résidents « amoureux » de leur quartier, je ne peux pas soutenir l’argument du risque de pollution putatif, du à la déconstruction. Si certains gravats issus de la démolition se retrouvent à polluer l’environnement aujourd’hui, c’est en toute illégalité.
    Vu l’ampleur du chantier de démolition, l’obligation d’un diagnostic déchets avant démolition ne s’impose-t-elle pas, ici comme en métropole?
    On ne peut dès lors retenir cet argument pour charger la barque du méchant rénovateur urbain…
    Recentrons donc le débat sur chacun des deux pôles: celui de la qualité urbaine de l’habitat (relations du tissu économique, social, culturel…) et par ailleurs celui de la qualité d’usage. Car notre consœur ne nous dit rien sur la conformité de l’ascenseur en panne, la qualité acoustique de lieux, en dehors des périodes de typhons.
    Par ailleurs, si la structure béton résiste bien aux aléas para sismiques, c’est un atout pour les partisans de la réhabilitation. En intégrant alors le cout d’un curage préventif, suivi par un maitre d’œuvre qualifié, la maitrise d’ouvrage pourrait peut être imaginer une opération tiroirs, quitte à repenser entièrement l’organisation et la division spatiale! C’est possible, avec le recours à des architectes capable de faire « compliqué » alors que l’on pourrait faire plus simple! A une seule condition rédhibitoire: repérer les acteurs locaux et permettre une maitrise d’usage, avec des moyens indépendants adaptés, afin de respecter et prendre en compte l’ensemble des doléances des résidents, futurs ou ancestraux.

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  2. Michele Robin-Clerc

    Architecte - Ville < 50.000 habitants - 97190
    Oui Luc c’est vrai que les déchets seront traités mais le coût généré par cette opération aurait été mieux investi dans la réhabilitation des logements et/ou des espaces extérieurs. Évidemment la conformité de l’ascenseur est à faire, et la qualité acoustique des lieux à améliorer. Mais ces investissements n’ont aucune commune mesure avec ceux que nécessite une démolition-reconstruction. Cette opération qui affecte les Tours Gabarre aujourd’hui a été décidée suite à l’agression d’un agent de la SEM en charge de la location des logements. Elle n’a depuis jamais été remise en question. Personne n’a le courage d’aller le dire à la télévision. Certains architectes ont en tête d’en faire des logements étudiants, ce qui se prêterait parfaitement à cet usage et comblerait un manque important.

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  3. TRANCHOT PRISCILLIA

    Etudiant(e) - Métropole - 75018
    Bonsoir Madame ROBIN-CLERC,

    Je suis heureuse d’avoir trouver votre article sur les tours Gabarre. Je suis étudiante en Master à ENSA Paris La Villette est l’ensemble de mes recherches de fin de cursus portent sur les différents types de logements en Guadeloupe. Votre article m’apporte une source de plus pour mes recherches. Et, répondent et soutiennent totalement mon point de vue. Je vous remercie pour l’intérêt que vous portez pour cette belle région dont je suis originaire et dont j’aimerai préservé l’identique architectural qu’elle a pu créer au fil du temps.

    Cordialement et bonne continuation.
    Bonne année 2015

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