Changer d’échelle pour réinventer la Ville

- par Olivier BIANCHI, maire de Clermond-Ferrand. habiter la métropole

« Réinventons la Ville », tel était le titre de mon projet pour les Municipales, décliné autour des ambitions d’une ville du bien-vivre, au développement harmonieux, d’une ville pour tous.
Cette ambition je la porte également en tant que Président de la Communauté d’agglomération de Clermont-Ferrand, car penser la Ville de demain c’est avant tout se confronter à un défi d’échelle.

Ce défi est celui de la montée en puissance de l’intercommunalité qui s’impose de plus en plus comme l’échelon pertinent pour mettre en œuvre les politiques urbaines. Désormais, c’est à ce niveau que s’incarne la Ville du quotidien : on habite dans une commune, on trouve ses loisirs dans une autre et on travaille dans une troisième.

Voilà pourquoi un enjeu central de mon mandat à la tête de l’agglomération clermontoise sera le passage en Communauté urbaine. Nous sommes à un moment décisif : saisir ou non l’opportunité de sortir d’une somme d’intérêts communaux pour construire une véritable intercommunalité de projet.

Les communes ont longtemps vu dans l’intercommunalité un simple outil de financement de leurs zones d’activités et de leurs équipements. Mais aujourd’hui, la nécessité de développer une réelle stratégie urbaine, économique et d’attractivité à l’échelle de l’agglomération n’est plus contestée. Les mentalités ont évolué, peut-être davantage par pragmatisme que par réelle conviction, dans un contexte d’inflation législative, de restriction budgétaire et de complexification du réel. Il faut donc opérer un changement durable dans les esprits. Le dernier verrou psychologique consiste à faire accepter le partage d’un pouvoir symbolique, au fondement de l’identité communale et acquis au prix d’un long processus de décentralisation : la compétence en matière d’urbanisme. Ceux qui ont franchi ce cap avec succès, je pense par exemple à Rennes, ont réussi grâce au soutien des concepteurs de la ville. Urbanistes, architectes et fonctionnaires seront des relais essentiels aux élus pour accompagner cette transition. Ils pourront notamment les aider à trouver le mode d’organisation le mieux adapté aux enjeux de leur territoire alors que le cadre juridique de la Communauté urbaine offre une certaine souplesse, du transfert total aux subdélégations.

Ce changement d’échelle pour penser la Ville va bouleverser les relations entre élus et concepteurs.

Un premier enjeu est de remettre le citoyen au cœur du projet urbain et d’utiliser la concertation de manière plus systématique dans la conception des politiques publiques. Pour l’élu, la difficulté sera de trouver des modes de concertation efficaces, qui s’adressent au public pertinent, alors que le périmètre de la Ville évolue constamment. Il ne suffit pas de convoquer les habitants : la ville vécue rassemble un public bien plus large et souvent un projet urbain ne concerne pas seulement les citoyens de l’agglomération. D’ailleurs l’Insee ne parle plus de « ville » mais bien « d’aire urbaine » qui forme un réseau où l’agglomération n’est qu’une unité parmi d’autres.

L’homme politique devra donc, à l’aide des concepteurs, inventer les outils pour répondre au défi de la déconnexion croissante entre base électorale et citoyenneté urbaine.
L’urbaniste sera de plus en plus concerné par l’animation des projets urbains avec une attention plus grande portée au processus, notamment la phase de concertation avec le public et l’animation des chantiers. Quant à l’architecte, son défi sera peut-être de penser une architecture modulable, évolutive, comme celle du site de la Belle de Mai à Marseille. Une architecture qui anticipe notre incapacité à prévoir totalement l’évolution des modes de vie.

La Ville ne se résume plus aux grandes infrastructures mais se pense désormais en terme de réseaux informels et de lien social. D’ailleurs, le soutien financier de l’Etat délaisse peu à peu les grands projets pour développer la Politique de la Ville. Bien sûr, là où l’Etat n’a que les moyens de faire du quantitatif, il faut penser le qualitatif. Et pour ce faire, un deuxième défi sera de croiser davantage les disciplines, à commencer pas les sciences sociales.

Il est important de réinterroger régulièrement les concepts qui fondent notre vision de la Ville : comme ceux de famille, de mixité sociale, d’étalement urbain, parfois attachés à une réalité dépassée ou sur le point de l’être. La mixité sociale est un bon exemple : on ne peut la décréter en ce qu’elle va à l’encontre de la tendance naturelle des hommes au regroupement communautaire, mais elle constitue pourtant un idéal politique. D’ailleurs les constructions des années 70, pensées pour favoriser les échanges, avec des cours intérieures et des passages ouverts, sont aujourd’hui le lieu idéal au trafic de stupéfiants. Aussi l’enjeu des politiques de peuplement n’est pas tellement d’imposer la mixité sociale au sein d’un même immeuble que d’organiser la mobilité et la rencontre des citoyens à l’échelle de la Ville. Tendre vers une Ville de bien-vivre, ce n’est pas essayer de définir ce qu’est le bien-vivre, c’est plutôt favoriser ses formes d’expression. Comme le dit Edgar Morin, pour penser la Ville il faut accepter l’incertitude et donc accepter de créer aujourd’hui les problèmes de demain.

Je le dis souvent, la Ville est un organisme vivant. Parfois il suffit de rien pour bouleverser l’équilibre d’un quartier car les pratiques évoluent constamment. C’est pourquoi les penseurs de la Ville ont aussi besoin du monde culturel, des avant-gardistes, de ceux qui anticipent les modes de vie et qui mettent en lumière la « Ville sensible », la « Ville sensorielle » comme l’appelle Jean-Yves Chapuis.

L’artiste est un relais essentiel aux côtés des concepteurs : pour animer l’espace public, pour faire vivre de façon éphémère un chantier, pour monter des projets valorisant les réserves foncières, pour amener les citoyens à la rencontre les uns des autres. Quant à l’homme politique, l’artiste l’aide à construire son récit de la Ville : car qu’est-ce qu’une Ville du bien-vivre si ce n’est, avant tout, une Ville où l’on a envie d’habiter ? Bien souvent, ce sont des projets culturels qui ont crée l’étincelle de désir qui a relancé le dynamisme d’une Ville et que le récit politique est venu entretenir : Saint-Nazaire est à ce titre un exemple de réussite.

Pour moi, l’enjeu de la conception des projets urbains est donc de croiser davantage les expertises et savoir-faire : celle du sociologue, de l’artiste mais aussi de l’ingénieur agronome ou encore du travailleur social et du technicien des transports, bref de tout ceux qui détiennent une part de connaissance de la réalité sociétale de la Ville et qui tous sont, à leur niveau, confrontés au défi du vivre-ensemble. Un défi que Jean-Yves Chapuis résume très bien : « nous voulons tous vivre séparés mais pas isolés et c’est dans cette contradiction que se situe le débat politique et la vision de la ville qui s’invente » .

Ma vision de la Ville de demain c’est un modèle de vivre ensemble où l’élu a pour mission de gérer l’altérité, où l’urbaniste construit avec les citoyens un réseau garantissant l’égal accès aux services et aux opportunités, où l’architecte enfin conçoit des espaces favorisant l’aléatoire et la création spontanée de lien social.

Olivier BIANCHI, maire de Clermond-Ferrand

Partagez

Commentez

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.