Brève d’aoûtien

C’est le temps des vacances pour certains, c’est le temps du travail pour d’autres, mais c’est aussi le temps de la mort pour des architectes broyés par un système inique. Vivre les temps des autres, pour un avocat de l’architecture et de l’urbain, est à la fois déprimant et exaltant.

Déprimant, le temps des échecs celui de n’être point parvenu à ce que la Justice triomphe, ne serait-ce qu’en reconnaissant que l’Architecte soit honoré, que son œuvre ne soit pas détruite, que son marché ne soit pas résilié pour faute, que le Maître d’ouvrage public ou privé impose sa volonté et non le Droit.

Déprimant celui de voir l’Architecte et tous les gens d’architecture (paysagistes, urbanistes, scénographes etc… ) hermétiques aux conseils qu’on leur donne, à la formation qu’on leur offre (fut-elle gracieuse).

Déprimant celui d’entendre valider sans preuve des rumeurs sur tel ou tel acte ou telle ou telle pensée.

Exaltant, le temps des amitiés, des victoires, des triomphes, la négociation d’un marché, d’un avenant équilibré permettant de travailler, la condamnation d’un contrefacteur. Le Grand Stade confisqué à Jean Nouvel, l’Hôtel Lambert « malmené » par le Royaume du Qatar, le chantier des Halles de David Mangin et Patrick Berger, le Musée des Confluences de Prix – Coop- Himmelblau, la visite au Luxembourg de la Cour Européenne de Justice avec Dominique Perrault et bien d’autres œuvres – ouvrages moins connus, méconnus gratifient la « pensée – action » de l’avocat d’architecture.

Exaltant encore le temps des réconciliations entre deux architectes qui se déchirent, entre un architecte et un maître d’ouvrage qui s’affrontent.

Exaltant enfin la participation à des partenariats avec les acteurs de la ville pour contribuer à apporter un peu plus de bonheur à ceux qui l’habitent et qui l’habiteront.

Il faut bien comprendre que nous sommes condamnés à combattre et que la pensée d’Héraclite est toujours présente. Ma robe est un combat soulignaient mes confrères Monique et Roland Veil. Mais la vie quotidienne est un combat permanent pour l’architecte qui ne peut échapper, pour parler comme les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot à ceux qui « cherchent à faire disparaître l’idée même du conflit de classes » ou à masquer les conflits de génération.
Quelle agence moyenne ou grande ne connait pas la poussée impatiente des jeunes associés ou collaborateurs qui « hic et nunc » veulent l’argent, le pouvoir mais surtout la reconnaissance de leur « être-architecte ».
Pour autant les « seniors » sont-ils condamnés à la « retraitance » en faisant fructifier les fonds de pension ? N’ont-ils pas droit à « l’être-encore-architecte », tout simplement par passion.
Ne devons-nous pas être admiratifs devant l’énergie toujours combattante de Paul Chemetov, Christian et Elisabeth de Portzamparc, Antoine Grumbach, Christian Devillers, Roland Castro et tant d’autres ?
Aider à gérer ces tensions, c’est aussi le temps de l’avocat d’architecture.

Il faudrait y ajouter les batailles du genre qui font couler beaucoup d’encre, souvent de mauvaise qualité alors que se débattent les femmes architectes pour que leur soient enfin reconnues ni leur charme, ni leur beauté, mais tout simplement leurs compétences.
Gloire à Odile Decq, Catherine Furet, Brigitte Metra, Emmanuelle Colboc, Corinne Vezzoni et toutes celles que j’ai nommées dans mon « architendresse ».
Gloire à tous ces couples d’architectes hétéro ou homosexuels qui font vibrer l’architecture et émotion pour celles et ceux qui, au-delà de la mort, font vivre encore la mémoire des œuvres des architectes disparus.
Les ruptures, les brisures, les fêlures du « Logos », c’est-à-dire de la Pensée en action, ne sont pas une fatalité. Les résistances aux usures du quotidien sont possibles si l’on n’est pas seul. La solidarité, c’est rejoindre les autres ou quelques autres pour faire front ou tout simplement parler. Le Verbe nous porte à vivre l’Altérité.
Cette altérité doit s’exercer surtout pour ce à quoi l’Architecture est justement destinée : l’Habitat.

Les pratiques modestes d’architectes tels Fréderic Bonnet, Nicolas Soulier, Alexandre Chemetoff, Patrick Bouchain donnent au mot « participatif » un sens nouveau qui bouscule les schémas reçus de la commande et du rapport entre les acteurs. Elles sont porteuses d’une immense espérance. Encore faut-il prendre de la distance.

Lisons ou relisons Marguerite Yourcenar dans « Quoi ? L’Eternité », puisque les vacances c’est le temps de la lecture : « C’est l’erreur de tous de songer aux satisfactions du présent et aux profits de demain, jamais à l’après demain ou à l’après siècle. »
Oui, nous devons tous être porteurs de visions et défendre, comme arme stratégique, l’utopie concrète, celle défendue par William Morris en 1895 dans « les nouvelles de nulle part

Mais l’architecte ne doit jamais oublier que l’habitant est sa destination, même s’il ne le connait pas, et que le Maître d’ouvrage n’est pas son ennemi, même s’il se comporte parfois comme tel.

L’architecture est éternelle, mais l’Architecte est mortel, tout du moins dans le cadre des modes d’exercices qui lui sont offerts depuis la loi de 1977 sur l’Architecture. Sa survie est liée à celle de son commanditaire.

La profession d’architecte doit défendre la fonction de Maîtrise d’ouvrage et les institutions de la Maîtrise d’ouvrage public et de la promotion immobilière.
Accélérons le processus de réconciliation Maîtrise d’ouvrage / Architecture en liaison avec les ingénieurs, Bureaux d’Etudes Techniques, ingénieristes et économistes.

L’avocat d’architecture déploiera toujours son énergie à faciliter ces rapprochements et à offrir, sur le terrain, des concepts juridiques opérationnels pour éviter la guerre des contentieux.
Plaidons pour le temps de la pacification, sans oublier cependant que la « Pax Romana » était tout simplement le temps de l’impérialisme et de l’invasion.
Plaidons pour la loi MOP et bouchons nos oreilles lorsqu’ émergent, perfides, les sirènes du néolibéralisme qui veulent s’en affranchir.

Ne nions pas nos contradictions, mais assumons-les, pour, en toute indépendance, servir au mieux, la demeure des peuples pour lesquels on ne respecte même pas le droit fondamental constitutionnel, international, à disposer d’un habitat digne.
Ecoutons la musique délicate de Vladimir Jankélévitch sur la métaphysique du Temps, le « je-ne-sais-quoi » et le presque rien encerclant le charme de l’instant. « Par la vertu du temps le « il y a » se coule en un « il advient », l’évènement ou l’avènement, l’advenue ou survenue étant la seule forme sous laquelle nous expérimentons cette preuve ontologique vécue et continuée qu’est le devenir ».

Michel Huet
Docteur en Droit, Avocat de l’Architecture et de l’Urbain

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