Biomimétique urbaine et aménagement durable de l’espace métropolitain

- par Jean-Louis PACITTO, Architecte. habitat : mutations et innovations ?

Les hommes n’ont jamais cessé de s’inspirer des autres organismes vivants, dans leurs relations entre eux et aux autres éléments abiotiques de la nature (exemple de l’observation des oiseaux par Léonard de Vinci). Il ressort que beaucoup d’inventions de nos concepteurs et créateurs procèdent de l’observation de recettes, astuces, techniques et modes d’organisation maitrisés par quelques-unes des 10 millions d’autres espèces (y compris fossiles), ceci résultant parfois de 3,8 milliards d’années d’évolution.

L’urgence planétaire à protéger la biodiversité se justifie d’autant plus aujourd’hui que la nature et le monde du vivant deviennent une source d’inspiration renouvelée des sciences et technologies qui contribuent au bien-être et à la santé de ses habitants. Au-delà de l’enjeu de survie des espèces, la biodiversité renferme en effet le capital de toutes les inventions adaptatives et régénératrices du génie naturel : un patrimoine d’une richesse insoupçonnée inspirant les sciences «dures » comme les sciences humaines. Cette manifestation se veut consacrer la réflexion « biomimétique » ou «bio-inspirée» (top-down et bottom-up) plus particulièrement à la discipline de l’aménagement, du développement et de la gouvernance durables des territoires métropolitains, notamment côtiers.

De nombreuses réflexions et expériences innovantes, encore méconnues à ce jour, illustrent en effet les passerelles entre le biomimétisme et les sciences de l’architecture, de l’ingénierie et de l’aménagement.

Sur la foi de résultats pionniers, il est maintenant possible de porter un premier éclairage sur cette thématique et d’en transmettre quelques enseignements aux acteurs scientifiques, tout en élargissant la réflexion au monde de l’action publique. L’enjeu est double :
►Vulgariser auprès des acteurs locaux comme du grand public l’innovation spécifique du biomimétisme et réfléchir aux transpositions possibles du génie de la nature et du vivant au service d’un développement durable et bio-inspiré des territoires, dont les espaces métropolitains.
►Créer une plateforme d’échanges et un rendez-vous régulier propres à nourrir une réflexion collective valorisant la place de la « bio-inspiration » au service du bien commun et de la gouvernance territoriale.

L’ambition consisterait en effet à initier la programmation régulière (annuelle ou biannuelle)  d’un symposium : Biomimetica,  et à créer un événement scientifique et culturel, avec des rencontres et échanges interdisciplinaires à dimension européenne et internationale. Le challenge est de rapprocher acteurs publics et privés, scientifiques, férus d’écotechnologies, défenseurs de l’environnement, décideurs locaux et professionnels de l’action publique.  L’accueil d’un tel évènement sur un territoire côtier-laboratoire-pilote devrait fournir l’occasion d’y analyser la nécessaire dynamique d’exemplarité territoriale, à l’image par exemple de celle déjà engagée par une dizaine de collectivités relevant de la zone d’adhésion du Parc National de Port Cros, laquelle forme un territoire maritime qui auréole l’archipel insulaire hyérois, siège des cœurs du Parc naturel marin.

« Forts de la conviction que nos travaux et recherches pour une vision symbiotique de l’aménagement de l’espace et des territoires côtiers de cette petite région métropolitaine en devenir sont à la fois possibles et nécessaires, l’initiative de BioMimetica fait le pari que les principes de la nature et du vivant dont ces territoires pourraient s’inspirer sont multiples : dans leur organisation, leur architecture, le traitement de leurs déchets, la gestion de l’énergie, la mobilité, l’information et la communication, la santé et le bien-être, … ». JL Pacitto, président du GIS AMPHIBIA/ août 2013

Développement : Introduction générale au biomimétisme   et au territoire écomimétique
Présentation en six séquences. Etat de l’art et remise en contexte international. Prospective sur le plan de l’aménagement de l’espace.

LES PROCESSUS  

Le génie de la nature et du vivant au profit de l’innovation durable dans la R&D des matériaux, procédés et techniques de production.
OBJET : Comprendre et imiter les procédés naturels / Faire les choses comme le ferait la nature : production douce, zéro déchet, chimie verte, bio-assistance ( procédés faisant intervenir des enzymes, des micro-organismes entiers ou des catalyseurs bio-inspirés),..suivant une alternative d’avenir à la synthèse de type pétrochimique, les matériaux du vivant étant produits à température et pression ambiantes (peu d’énergie) et dans des solvants non toxiques.
Ex : coquilles calcaires à base de carbone qui fixent le gaz carbonique au lieu de le rejeter.

LES FORMES
Le génie de la nature et du vivant au profit de l’innovation durable dans le design, l’architecture et l’ingénierie
OBJET : Copier les formes et structures / Concevoir des produits alliant esthétisme, élégance, efficience, fonctionnalité, dématérialisation,…s’inspirer de la forme des plantes, des animaux, des champignons, de tous les organismes vivants, ..à échelle macro, micro ou nanoscopique, … étudier les formes normales de la vie et des éléments organiques — coquilles, poissons, bactéries, araignées, etc. — pour des accéder à des propriétés telles que la dureté, la légèreté, la force, la douceur, la viscosité, etc., afin d’en extraire de nouveaux matériaux et nouvelles manières de fabrication ; regarder la vie biologique et botanique pour les idées qui peuvent être exportées vers l’architecture —des membranes, la photosynthèse, des phyllotaxies de feuille, une esthétique, etc… et proposer des concepts de construction qui simulent les propriétés souhaitables trouvées dans la nature pour un déploiement de la durabilité dans le bâtiment et le génie civil.
Ex : TGV japonais et martin-pêcheur, peintures auto-nettoyantes et nano-formes (feuille de lotus), …

LES INTERACTIONS
Le génie de la nature et du vivant au profit de l’innovation durable dans le management urbain et la gouvernance territoriale
OBJET : S’inspirer du fonctionnement des écosystèmes (avantage majeur de l’écosystémique : pas de rupture technologique donc bio-inspiration possible au niveau organisationnel non-technique) / S’intéresser à la façon dont les relations entre espèces permettent à l’ensemble d’être dynamiquement stable et durable / Dégager des principes de fonctionnement pour la gestion des flux de matière, d’énergie et d’information et en tirer des apports décisifs pour structurer les stratégies de durabilité des entreprises et des collectivités : écologie industrielle, économie de fonctionnalité, économie circulaire,..

LE  TERRITOIRE ECOMIMETIQUE  
Innovation durable et expérimentations à l’échelle d’un territoire.
Processus + formes + interactions + gouvernance : vers un aménagement symbiotique durable pour les métropoles?
OBJET : Une approche innovante : celle des liens entre activités socio-économiques et culturelles d’un territoire et ses écosystèmes.
Un objectif prospectif: identification des opportunités liées à la bio-inspiration, au biomimétisme, à la bio-économie, à l’économie circulaire, à l’écologie industrielle…faire le point sur les avancées scientifiques et techniques les plus récentes sur le sujet, échanger sur les pistes de recherches futures et confronter les regards sur les perspectives d’évolution de ces domaines et sur le travail interdisciplinaire (nécessité d’avoir des équipes multidisciplinaires sur un même territoire-laboratoire). Dégager des pratiques de management pour la gestion des flux de matière, d’énergie et d’information, et en tirer des apports décisifs pour structurer les stratégies de durabilité des collectivités.

DEFI OU OPPORTUNITE TERRITORIALE
Agir sur la durabilité dans les territoires par la bio-inspiration et l’écomimétisme : un défi, une opportunité  pour les collectivités territoriales des métropoles?
OBJET : Une vision positive et dynamique de l’écologie.
Une expérimentation pour utiliser le levier de l’intelligence collective afin d’établir une vision commune de l’avenir en stimulant par la bio-inspiration et l’écomimétisme l’esprit d’initiative et les capacités de prospective.
Dégager des débats de la 4ème séquence des principes d’aménagement  bio-inspirés (ex : élimination des rejets en mer des stations d’épuration et traitement par jardins filtrants ) pour une gestion solidaire (mutualisation des savoir faire et des moyens).
En tirer des apports décisifs pour structurer et articuler les stratégies de durabilité et les programmations-phares des collectivités ( cf les points d’arrêt du « périple amphibie »).

DES VILLES BIO-INSPIREES ET DES QUARTIERS FERTILES
Des territoires promus comme des écosystèmes, des « quartiers fertiles » en symbiose avec les espaces naturels environnants?
OBJET : Ecomimétisme, Eco-parcs, Agri-parcs, Quartiers fertiles… des accélérateurs d’innovation et de recherche pour un urbanisme durable ? Accompagnement alternatif  bio-inspiré des collectivités et entreprises sur leurs enjeux éco-stratégiques : Biodiversité / Energies / Changement climatique / Déchets / Urbanisme / Eco-aménagement/ Construction durable/ Habitat convivial et solidaire / Gestion circulaire /… Approche biomimétique des éco-quartiers modélisés en tant qu’écosystèmes /Etablissement de règles d’un fonctionnement bio-efficient / identification de points critiques et établissement de Charte de l’habitant (ex Eco-quartier «Darwin» à Bordeaux)
Ecomimétisme appliqué aux bâtiments et équipements (éco et agro-matériaux, bio-matériaux (biominéralisation, « béton vert »,..), ventilation naturelle, ouvrages passifs, intégrés (plusieurs fonctions complémentaires), à énergie positive, etc…

Ces six séquences ont eu pour effet d’illustrer nombre de thématiques territoriales en émergence dans les grands débats d’aujourd’hui , à savoir :
•    Territoire métropolitain  et organisation : vers un génie urbain bio-inspiré, une symbiose entre technosphère et noosphère, …
•    Territoire métropolitain et structures: vers un urbanisme et une architecture symbiotiques: villes végétales, villes frugales, villes en transition, quartiers fertiles,…
•    Territoire métropolitain et productions : agro-écosystèmes périurbains, agroforesterie, récifs artificiels, bio-tuteurs,…
•    Territoire métropolitain et mobilités : territoire fluide et intermodalités terre-mer, ports du futur, accessibilités « amphibies » ..
•    Territoire métropolitain numérique: territoire interactif, réseaux intelligents, éco-quartiers entrepreneuriaux, systèmes d’information multimédia ..
•    Territoire-ressource et énergies: économies et autonomie, territoire « solaire » (énergies marines, solar ponds,..) ,  énergies bio-inspirées (aéro et hydrodynamiques), couplage eau-énergie,..
•    Territoire métropolitain et génie écologique : biotechnologies blanches, vertes et bleues, jardins filtrants,…
•    Littoral métropolitain et écomimétisme : biosphère, parcs naturels marins et projets de territoires habités, noosphère…
•    Formation et territoire écomimétique : programme de séminaires de bio-inspiration territoriale (ex gestion des risques : inondabilité et urbanisme, friches et éco-prospective littorale..).
•    Autres thématiques : Santé, bien être, médecine bio-inspirée et territoire : halothérapie, héliothérapie, algothérapie,… ;
•    Filières économiques « vertes » et territoire métropolitain : agro-matériaux,
agroforesterie, agriculture biologique, agriculture biologiquement intensive, agro-bio-aquaculture, seawater agriculture,..

Mise en contexte international : Le « biomimétisme »  et la « bio-inspiration» connaissent actuellement une dynamique très forte en lien avec les besoins des marchés et dans de très nombreux domaines de développement (les cent produits phares issus du biomimétisme ont dégagé un chiffre d’affaires de plusieurs milliards d’euros entre 2005 et 2008, selon l’Ohio State University).
Les démarches bio-inspirées nécessitent de promouvoir des équipes interdisciplinaires très larges : Chercheurs / Naturalistes / Zoologistes / Botanistes /  Biologistes / Hydrobiologistes / Physiciens / Chimistes /…Philosophes / Historiens/ Educateurs/ Sociologues/ Economistes / Agronomes / Aménageurs / Prospectivistes/ Géographes/ Urbanistes / Architectes / Paysagistes / Designers / Ingénieurs / Techniciens territoriaux / Entrepreneurs / Gestionnaires / Educateurs / Formateurs/ Artistes/ Décideurs/ Elus…
On aura noté que les inventions et les recherches sont souvent très « spectaculaires » et pourraient constituer le matériau-source inépuisable de fonctionnalités et de productions très porteuses sur le plan technologique, socio-économique, culturel et touristique, et donc avoir un fort impact médiatique sur l’opinion publique et les décideurs concernant la biodiversité et l’aménagement des territoires métropolitains, littoraux compris.

Conclusion : Au-delà de la satisfaction de multiples besoins fonctionnels de l’homme dans son territoire vécu, souvent mis en avant jusqu’à présent dans des manifestations encore trop sectorielles, hyperspécialisées en biomimétisme, s’est posé la question de la contribution de ces nouvelles démarches bio-inspirées pour le développement et l’aménagement durables de l’espace et des territoires métropolitains proprement dits, notamment côtiers. Pour l’ « habitant » et le  « visiteur » de tels territoires, quelle visibilité faut-il offrir à propos de ces merveilleux héritages issus d’une biodiversité encore préservée? A travers quelles démarches, quels projets, quelles stratégies, quel management, à quelle nouvelle vision sociétale faut-il faire adhérer le grand public pour que politiquement soient appuyées ces avancées avec les moyens et les latitudes règlementaires qu’elles nécessitent? Cette manifestation ajoutera à l’état de l’art précédent et à ces interrogations un certain nombre de réponses  opérationnelles au questionnement suivant : devant l’inépuisable richesse de la biodiversité, terrestre et marine, le « génie de la nature et du vivant », – ainsi promu au rang de «matériau» et d’ «outil » pour l’innovation durable -, mériterait d’être révélé au grand public pour rendre compte de la connaissance de plus en plus approfondie, nano-explorée, de «ressorts adaptatifs et régénérateurs» dont le territoire pourrait s’inspirer pour sa durabilité.  Et c’est avec la proposition pionnière, dans cette région privilégiée du littoral varois, d’un grand projet tout à fait novateur : AMPHIBIUM, – imaginé par le GIS AMPHIBIA et conçu en partenariat avec MALTAE -, de « Parcours (ou Périple amphibie) de découverte de la biomimétique » que dans ce territoire on découvrirait au mieux la formidable «bibliothèque d’inventions durables» qu’il recèle, un « héritage scientifique » mis non seulement à portée des très nombreux observateurs de nature, amateurs arpenteurs de paysages, chercheurs conservateurs, mais aussi de créatifs, de chercheurs expérimentateurs, entrepreneurs, gestionnaires et in fine de décideurs qui seraient attirés et séduits par ces nouvelles pratiques bio-inspirées pour les mettre en œuvre sur leurs propres territoires. Ce projet apparait comme un tremplin socio-économique et culturel incontournable pour le « territoire écomimétique » recherché.

Prospective sur le plan de l’aménagement durable de l’espace littoral.
Le territoire écomimétique : une figure littorale urbaine et rurale d’avenir ?
De l’exemplarité d’un territoire côtier face à ses îles-parc.
Dans quelles conditions ce type de développement local et d’aménagement durable pourrait-il s’implémenter positivement sur des territoires littoraux, y compris d’exception comme les parcs naturels marins et leurs zones périphériques? Ces dernières symboliseraient  un nouvel « entre terre et mer », à la fois habité et visité, apte à assurer une vocation mixte inédite et pionnière à savoir:
- recherche scientifique fondamentale conservatoire (cf les espaces protégés et contraints du Parc national naturel marin de Port-Cros et le contenu d’une Charte)
- et recherche technologique expérimentale pour un aménagement côtier durable (ce que permettrait le zonage R et D du Pôle de compétitivité Mer Méditerranée dans la région toulonnaise).
Ces questionnements font l’objet aujourd’hui de très nombreuses approches scientifiques et productions technologiques et architecturales, avec une montée en puissance exponentielle planétaire, depuis une vingtaine d’années.
D’où la pertinence de l’organisation d’une manifestation internationale de l’importance de notre projet Biomimetica afin de mobiliser le grand public sur ce sujet autour de l’ensemble des acteurs « biomiméticiens » de l’aménagement. Dans ces espaces de l’arc méditerranéen occidental (Gênes, Nice, Toulon, Marseille, Montpellier, Barcelone,..) soumis au phénomène de métropolisation ces territoires-laboratoires pourraient alors légitimement revendiquer leur droit à l’expérimentation et constituer un réseau de territoires-pilotes en matière de démarches bio-inspirées.

Hyères, le 04/09/2014

Jean-Louis PACITTO, Architecte dplg, urbaniste, Chercheur en biomimétique urbaine et environnementale ; Président du GIS AMPHIBIA Groupement d’intérêt scientifique ; Membre de MALTAE Mémoire à lire, territoire à l’écoute / PEP Pôle d’Economie du Patrimoine « Paysage de l’entre terre et mer» ;Membre du Pôle de compétitivité Mer Méditerranée et du Réseau Français de Recherche Côtière (RFRC).

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