Architecture et politique

- par Alain VIVIER, président de la Mutuelle des Architectes Français assurances. habitat : mutations et innovations ?

L’architecture est notre passion commune, nous créons, construisons, réhabilitons des lieux où les hommes vivent, travaillent et se rassemblent. Dans un monde qui a besoin de repères, les constructions portent la trace des évolutions de notre société et posent des jalons pour l’avenir. À l’heure où nous pouvons constater les pannes du moteur de la création architecturale, après l’extinction du réacteur de la commande publique, il me semble important de participer au débat des e-Universités d’été de l’architecture en illustrant les relations paradoxales que la politique entretient avec l’architecture, alternant entre rôle du moteur et celui du frein, entre autonomie et hétéronomie, privilégiant l’irritante dictature du court terme dans un domaine de nécessaire pérennité.

L’autonomie de l’architecture, un enjeu politique

L’architecture façonne un cadre et un mode de vie, participe à la culture et à l’évolution des techniques, prolonge l’histoire, enrichit notre patrimoine. Elle porte un enjeu tout à la fois social, économique et stratégique dans tous les domaines où elle crée : le logement, l’éducation, la santé, la culture, le travail, l’environnement. L’architecture est forte de ses réponses aux questions qui lui sont posées par l’évolution de notre société.

>> La responsabilité est la contrepartie de l’engagement
Au-delà de la loi de 1977, l’architecture est investie d’une véritable mission d’intérêt public dont la pierre angulaire est la responsabilité des architectes, la profession d’architecte étant avec celle des géomètres-experts, la seule réglementée de la maîtrise d’œuvre. La reconnaissance publique de la création architecturale et de la recherche de la qualité des constructions a conduit à ce que l’organisation de la profession et son mode d’exercice soient juridiquement encadrés. La loi de 1985 – portant sur la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée – complète cette inscription dans la res publica. Alors que la loi de 1977 donne une définition très minimaliste de l’intervention obligatoire de l’architecte dans le domaine de la commande privée, la loi « MOP » donne une définition précise et large des missions que les maîtres d’ouvrages publics peuvent confier à l’architecte maître d’œuvre.
Il est intéressant à cet égard de noter le débat qui – depuis les premiers pas de la directive européenne sur les services jusqu’à la directive reconnaissance des qualifications – oppose les tenants de la libre circulation des personnes et des services entre les États membres aux règlementations d’ordre public, telle que la nôtre.

Cette inscription dans le temps long qui permet d’anticiper les évolutions de notre société plutôt que de les subir donne les moyens de mener à bien de bons et solides projets. Elle nécessite une volonté, requiert de la constance et dépasse les délais du cycle électoral.

Les projets emblématiques constituent les symboles de la puissance d’une profession d’autant plus éloignée du public que les réalisations du quotidien ne portent pas la marque de la contribution de notre profession, le bâtiment quotidien étant le plus souvent privé d’architecture. La vision de l’architecte-démiurge qui pense la réalité comme une création est alimentée par l’architecture iconique qui est loin de représenter concrètement le travail de nos 26 000 confrères et consœurs. Or concevoir et bâtir un ouvrage n’est pas un geste solitaire d’exception culturelle mais un processus, certes inspiré, mais lent, laborieux, où l’architecte doit s’entourer de compétences complémentaires au service d’un projet, d’un programme, d’un maître d’ouvrage.

Nos aînés qui ont créé en 1931 la MAF, l’ont conçue comme un moyen d’assurer l’indépendance de leurs confrères au service du projet. Plus de 80 ans après, notre Mutuelle s’attache toujours à défendre notre liberté de créer et fait en sorte qu’elle ne soit pas asservie à d’autres intérêts ou considérations.

Les contraintes du politique et l’hétéronomie de l’architecte

Dans l’idéal, l’architecte doit s’appuyer sur la force des contraintes pour définir des solutions justes et pérennes. Nous vivons tous, cependant, avec des exigences de rentabilité à court terme et un temps de maturation du projet qui s’avère insuffisant au regard de la complexification actuelle de la réglementation et des conditions dans lesquelles s’exercent nos missions.

>> Des normes hors-normes
Nous devons, dit-on, pouvoir manier environ 70 000 normes pour pouvoir exercer. Pléthoriques, instables et parfois contradictoires, les normes deviennent difficiles à respecter, elles brident le processus créatif et uniformisent l’intérieur des bâtiments.
Cet appareil normatif est essentiellement le fruit d’un acte politique surinterprété par les techniques. Je pense en particulier à la RT 2012 qui fut portée par le Grenelle de l’environnement ; l’accessibilité des bâtiments pose également des contraintes de compatibilité des normes.

Si l’objectif de base est vertueux, nécessaire, le résultat peut se révéler si délicat à mettre en œuvre qu’il faut ensuite revenir, de manière plus ou moins tacite, sur la contrainte elle-même.
De surcroît, ce millefeuille réglementaire conditionne les solutions, sans répondre aux besoins de la société, comme l’ont souligné la MAF et certains confrères qui ont fait part de leur expérience à la récente mission parlementaire sur la création architecturale. Dans son rapport d’information, le président Patrick Bloche précise : « les nombreuses normes qui entourent la construction étouffent véritablement la création architecturale. Pléthoriques, complexes et parfois contradictoires, les normes sont, en pratique, difficilement applicables dans leur totalité. Or, nous sommes pour une application totale et égalitaire du droit… ». Après avoir auditionné Philippe Carraud, notre directeur général, Patrick Bloche a déclaré que l’assurance de la MAF ne constituait pas un frein à la création architecturale. Il a recommandé une application «  cohérente, intelligente et simplifiée » des normes.

> Des honoraires et une place à faire reconnaître
Je l’ai déjà développé ci-dessus, la recherche systématique de réduction des coûts a conduit les maîtres d’ouvrage à enclencher « la machine à perdre » du dumping des honoraires. Nous savons tous qu’un architecte insuffisamment rétribué n’a pas les moyens d’optimiser un projet en recherchant différentes solutions, qu’il est moins présent sur le chantier, que s’ensuivent alors des surcoûts bien supérieurs au montant des économies recherchées.
À la MAF, nous pensons que le travail de l’architecte produit la plus grande valeur d’usage possible. Ce travail doit être défendu, reconnu et rémunéré.

Parmi les moyens disponibles pour lutter contre cette pratique, se dégage celle d’un barème d’origine étatique, à l’allemande, et non « corporatiste ». L’imposer requiert une profession déterminée sur ses objectifs, ferme sur ses choix et unie dans sa représentation.
Par son approche tarifaire sur les travaux déclarés et non sur les honoraires, la MAF participe à la lutte contre cette pratique du moins-disant dont les conséquences, outre la paupérisation de la profession, sont la dénaturation de la création architecturale et un surcroît de sinistralité.
Chacun de nous, dans le cadre des concours, doit veiller à ce que les honoraires soient justement évalués.

Dans la perspective des grands chantiers d’urbanisation et de densification des villes, où l’ingénierie concourante entre tous les acteurs d’un projet – et tout particulièrement entre les architectes et les élus – doit s’exercer pour le bénéfice des citoyens, le concours de maîtrise d’œuvre doit quelque peu s’adapter pour s’articuler avec la directive européenne sur les marchés publics. Le concours français est reconnu comme le meilleur modèle existant en dépit de ses défauts, parmi lesquels « la rigidité quasi dogmatique de la pratique de l’anonymat » dont mes confrères et consœurs soulignent volontiers les limites et contournements.

Le cadre normatif complexe peut avoir favorisé la stratégie ensemblière des grands acteurs de la promotion et du bâtiment. Ceux-ci pouvant, avec leur offre « clé en mains », réduire le rôle de l’architecte. Dans le cadre des procédures de « conception-réalisation » et dans les PPP, nous constatons que les équipes juridiques des contractants sont d’une certaine disparité. Ceci a conduit la MAF à être particulièrement attentive aux côtés des architectes pour la défense de leurs intérêts.

Je voudrais enfin évoquer l’examen de certains métiers réglementés par les services de l’état ; parmi ces 36 professions figure la nôtre. L’idée sous-jacente est que ces professions sont préservées d’une certaine concurrence par la loi. Concernant les architectes, c’est le « monopole » des 170 m2 de surface de plancher qui serait visé.
Concernant les architectes, la notion de « profession réglementée » ne peut être assimilée à celle de profession protégée. On ne peut davantage remettre en cause la légitimité de l’architecte qu’on ne le ferait pour l’avocat ou le chirurgien.
Ce type d’annonce produit des effets délétères pour l’image de notre profession alors qu’une étude conduite en 2011 à la demande du CNOA (« L’architecture et le logement vus par les habitants de cinq pays d’Europe : Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni ») a révélé que pour 71 % des Français « le travail des architectes est le plus souvent un passage obligé, qui est coûteux et dont on aimerait bien se passer ».

Il n’est pas inutile de rappeler que le seuil de recours à l’architecte concerne le seul établissement du projet architectural faisant l’objet d’une demande de permis de construire. Il faut également noter que ce sont moins de 4% des maisons individuelles en-deçà du seuil de 170 m2 qui bénéficient d’une mission complète d’architecte et 13% des maisons dont la superficie est supérieure au-delà. Nous savons également que le revenu moyen annuel d’un architecte s’établit à 44 242 euros (source : DGIS – 2011), et que globalement, les architectes interviennent  dans le tiers des constructions réalisées chaque année en France, selon les données de la MAF croisées avec celles de la FFB. Nous sommes donc bien loin des seuils représentatifs d’une profession préservée des effets de la concurrence ».
Pour la mission d’information sur la création architecturale, mise en place par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’assemblée nationale, « il est apparu que le véritable problème résidait, non pas dans l’existence d’un seuil au-delà duquel le recours à l’architecte est obligatoire, mais bien plus dans le manque d’appétence du public pour l’architecture ».
Cette mission préconise, « de simplifier les démarches des particuliers qui recourent à l’architecte », l’Ordre des architectes prônant la mise en place d’un permis simplifié lorsqu’il y a recours à un confrère, et qu’on se situe en deçà du seuil des 170m².

En tant que confrère, en tant que président de la MAF, il me semblait important de souligner l’importance, pour les architectes, d’avoir à leurs côtés une mutuelle qui soit bien plus qu’un assureur et qui intervienne – avec l’Ordre, les syndicats et la SFA – pour illustrer et défendre notre profession.
Alain VIVIER, président de la Mutuelle des Architectes Français assurances

Partagez

Un commentaire au sujet de « Architecture et politique »

  1. gilles Bouchez

    Architecte - Ville > 50.000 habitants - 75010
    Au cas ou les sociétés d’architecture ne seraient pas majoritairement
    sous contrôle d’architectes, quelle sera la position de la MAF?

    Répondre

Commentez

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.