Architecture et mode de vie

Pourquoi nos maisons ont-elles toujours des fenêtres ? Alors que notre relation au monde, notre vue sur l’extérieur, passe à travers les écrans de nos ordinateurs et de nos téléviseurs. Alors que la fenêtre est une source de froid l’hiver, de chaleur l’été, une entrée pour les pollens allergisants, le bruit des voisins et les insectes piquants.

Pourquoi les chambres des enfants sont-elles toujours plus petites que celles de leurs parents ? Alors qu’ils y jouent, travaillent, reçoivent leurs copains, tandis que les parents ne vont dans la leur que pour y dormir ?

Pourquoi les cuisines ont une telle importance dans nos logements, alors qu’on mange de plus en plus à l’extérieur, restaurant ou cantine ?

Pourquoi les boulevards ont-ils toujours des trottoirs, alors qu’on ne se déplace plus qu’en voiture, alors que les voies sont toujours embouteillées, et que les rues ne sont jamais suffisamment dimensionnées pour les flux automobiles.

Architecture et mode de vie, modes de vie, les modes de la vie….

L’architecture d’aujourd’hui ne rend pas compte tout à fait de nos modes de vie : elle balance entre les contraintes de la vie réelle et les aspirations de la vie rêvée.

Pour l’européen lambda, son mode de vie, avec l’alternance quotidienne : logement, trajet, travail, trajet, logement, est subi, et non choisi.

Seul, l’artiste peut donner une vision radicale de ce que serait une ville en cohérence avec notre manière vivre, comme en témoigne l’oeuvre de Alain Bublex.

Les grands monuments actuels, avec leurs formes dynamiques, leurs parois subtiles, leurs plans entremêlés, ne sont possibles que par la multiplication numérique de notre imaginaire : ils sont la volumétrie des images 3D de nos écrans. Ces formes sont la traduction des images mouvantes que procurent nos déplacements quotidiens, en train, métro, ou voiture. Elles en disent finalement plus sur notre rapport numérique au monde que sur nos rapports sociaux.

Les immeubles de logements ont un langage paradoxal: grande liberté de façades, fluidité des baies et balcons, tandis que pour y pénétrer se succèdent digicode, interphone et serrures ; ils reproduisent à l’intérieur des logements une organisation traditionnelle, bourgeoise, avec entrée, couloirs, portes successives et pièces réduites. Architecture normative.

Le logement individuel est le lieu où la relation entre architecture et mode de vie peut être la plus explicite, lieu d’expérimentation pour les architectes : ils existent des maisons qui contiennent des organisations inédites, des espaces originaux qui expriment le mode de vie particulier d’un groupe de personnes ; mais cette audace est rare parce qu’elle est impudique, je dis à celui que je reçois l’intimité de ma vie.

« Habiter, c’est vivre », habiter c’est l’intime, l’incertitude de soi, alors l’image rassurante du foyer inspire des réponses architecturales traditionnelles.

L’architecture n’a pas la liberté d’autres arts, comme la littérature, la peinture, le cinéma, pour exprimer nos modes de vie, pour en inventer d’autres; elle transmet souvent en filigrane la manière dont nous vivons, elle annonce plus rarement la manière dont nous vivrons.

Ce sont dans les projets les plus marginaux : maisons individuelles originales, immeubles collectifs utopiques, monuments artistiques, que l’architecture illustre le mieux les us de notre époque et annonce les modes de vie de demain.

Mais, le plus souvent, son futur se dévoile ailleurs, dans la peinture, la photographie, la littérature, surtout le cinéma ou la science fiction !

Philippe CAPELIER, architecte à Montpellier, président du Conseil régional de l’Ordre des architectes

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Un commentaire au sujet de « Architecture et mode de vie »

  1. Foulquier-Gazagnes Marie-Caroline

    Architecte - Ville > 50.000 habitants - 34000
    Cher Philippe,
    Amusée par ton intervention quelque peu iconoclaste, sous forme d’interrogations, je partage ton point de vue sur le fait que l’art, tous medium confondus, constitue une réserve d’architecture utopique.

    « Habiter c’est vivre », entendu ! mais la maison n’est chez Heidegger qu’un outil pour habiter, la vraie maison désigne le monde, nous devenons des habitants.
    Des habitants donc qui subissent pour reprendre tes mots le « logement, trajet, travail, trajet, logement ».
    Pas toujours!
    Je te livre un constat déduit de diverses pérégrinations et promenades architecturales : le renouveau ne viendrait-il pas des villes portuaires, interfaces depuis toujours tournées vers les autres pays, lieux d’échanges et de mixité. Des villes comme Lisbonne, Anvers, Rotterdam, Stockholm, Marseille, Nantes… ont réinvesti leurs zones portuaires avec des programmes « hybrid » qui permettent de vivre, se cultiver, travailler, se distraire, se nourrir, dans un même immeuble ou dans un même îlot.

    Souplesse des programmes qui autorise des constructions peu éloignées du « plug in city » de Bublex…

    Bien à toi
    Marie-Caroline Foulquier-Gazagnes

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