Ah, le temps des loges à cochons en ville… Plaidoyer réuni pour un métier d’architecte historien et pour un jardin-pièce-à-vivre dans le logement de demain

- par Odile Jacquemin, architecte-urbaniste et historienne. habitat : mutations et innovations ?

Apparemment pas grand-chose  à voir dans ses deux aspirations  reliées, et pourtant, qui se souvient aujourd’hui que  sur le cadastre napoléonien de 1828 de la ville d’Hyères,  la classe  des loges à cochons est bien mieux fournie que  celle des hôtels ?… Dans le tissu lâche de nos villes jardins si spécifique de la Provence  du sud, on ne parle alors ni de compost urbain, ni d’agriculture de proximité, ni  de ferme urbaine, ni  de mettre des poules  et  des ruches sur les balcons ; l’ économie circulaire n’est pas conceptualisée, mais le bon usage du monde , en ce début  du XIXème,  associe à l’habitation un cabanon en bord de mer  et un  jardin de  ville où la loge à cochon est imposée… L’architecture la mieux renseignée de la ville d’Hyères de ce temps d’avant la photographie est … la loge à cochons.
Peut-être que ce rapport de la ville à ses jardins  dans cette histoire  pas si vieille, même pas deux siècles, aurait des choses à nous dire, pour inventer cette troisième voie, lutter contre l’étalement urbain , mais résister aussi à l’hérésie de l’application  normative d’une loi  SRU qui prône  la densification urbaine  arbitrairement, sans politesse aucune pour nos patecqs, pour nos petits jardins miraculés, qui, depuis 10 ans, 20 ans  tombent , un à un , sacrifiés à l’exigence de refaire la ville sur la ville, plus dense, puisqu’il faut sortir de la spirale de l’étalement. De quelles lunettes faut-il chausser les visionnaires dont dépend la ville de demain pour inverser le regard sur les  vides qui subsistent dans le  tissu urbain d’une ville de Provence ? Pour qu’il ne soit plus vu comme inévitablement une terre à bâtir, un foncier à récupérer pour densifier la ville, mais comme quelques ares, à récupérer, âprement,  ares après ares, à dédier à l’agriculture urbaine ? Fumer la terre est peut-être moins prioritaire qu’au temps des cochons régulateurs de l’équilibre ville/campagne du XIXème siècle, mais pour lutter contre les ilots de chaleur urbains, pour planter les  arbres climatiseurs naturels et vergers vivriers, pour  créer les emplois d’agriculteurs urbains dont dépendra la sécurité alimentaire des métropoles littorales dans 50 ans, et peut-être dans  5 ans, il est temps de revendiquer que  se nourrir fait partie de l’habité et que la profession d’architecte est concerné par l’exigence de concevoir cet habitat.:
Il est temps d’exiger d’adosser les politiques de logement à celles de la préservation des terres fertiles  et de faire de cette alliance un  terreau tout aussi fertile pour inventer de nouvelles formes urbaines. A chaque m 2  construit, un m 2 redonné à l’agriculture pourrait être une autre norme, une autre vision du territoire que celle introduite par notre ministre  Chalandon, quand il déclara que seul 1% du sol  la France n’était pas urbanisable ???

Il est aussi encore temps de mettre le temps et tous les temps, celui des saisons comme celui de la longue durée  au centre des matériaux de la composition urbaine.Parmi les milles pistes possibles à explorer pour un aménagement des territoires plus soutenable , pour se soucier de bonne économie, pour lutter contre le gaspillage  des ressources, il en est une,  un peu trop  laissée pour compte à mon gout  par la transition, si focalisée sur sa dimension énergétique  : c’est celle des leçons de l’histoire. Certes, l’usage du coup de crayon sur la page blanche,  du mythe de l’acte créateur, tel qu’on nous l’apprenait  encore dans les ateliers  du Quai Malaquais  au début des années 1970 est daté ; il est passé dessus le temps de la sitologie, celui de la mise en contexte, la mode de l’historicisme, l’hégémonie du patrimoine… personne ne remet plus en cause l’exigence d’une architecture située et contextualisée. Mais si les matériaux de l’histoire sont utiles pour le projet, on oublie trop souvent l’histoire des projets qui n’ont pas été réalisés. Quelle gaspillage, quelle matière grise , quelle énergie dépensée,  déployée, dormante dans des placards, dans des archives, et qui ne demanderait qu’à être recyclée elle aussi, réutilisée comme levier pour introduire dans notre cheminement à faire la ville de demain, un peu de réversibilité….

Odile Jacquemin, architecte-urbaniste et historienne

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